Le Hezbollah fait-il basculer l’équilibre des puissances au Moyen-Orient ?

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Pour la première fois dans son histoire, le Hezbollah semble avoir intégré sa stratégie militaire au sein d’une large dynamique régionale.

Pour la première fois dans son histoire, le Hezbollah semble avoir intégré sa stratégie militaire au sein d’une large dynamique régionale. La concomitance de l’enlèvement du caporal Shalit dans la bande de Gaza, l’enlisement du processus diplomatique iranien et l’opération du Hezbollah qui a conduit au kidnapping de deux soldats israéliens et à la mort de huit autres oblige l’observateur à s’interroger sur le pouvoir de nuisance régionale du Parti de Dieu. En effet, si de tels coups tactiques (enlèvement, déstabilisation du nord-israélien) ne sont pas nouveaux, ils ne rentraient jusqu’à présent que dans une dimension bilatérale du conflit (Tsahal vs Hezbollah), et tout au plus dans un affrontement indirect avec la Syrie et l’Iran. Or les évènements actuels pourraient bien mettre un terme à cet équilibre précaire des puissances au Moyen-Orient.
Les raids aériens sur le Liban retrouvent l’intensité de l’opération « Paix en Galilée » menée par Ariel Sharon en 1982. De son côté, le Hezbollah n’avait jamais visé aussi en profondeur le territoire israélien. Dès lors peut-on raisonnablement envisager une régionalisation du conflit ? L’équilibre relatif établi au lendemain de la guerre de 1973 ne pourrait-il voler en éclat ?

La réaffirmation du Hezbollah contre le baptême du feu d’Olmert

Au cours des dernières semaines, le Hezbollah a vu son action intérieure malmenée par l’opinion publique [1] et l’arrivée sur la scène politique libanaise d’un islamisme concurrent incarné par le Hezb al Tahrir, mouvement sunnite prônant le retour du califat.
Les experts occidentaux s’interrogeaient sur la réalité de l’arsenal militaire du Parti de Dieu. Ses équipements étaient-ils encore opérationnels ? Ses hommes ne vieillissaient-ils pas ? Disposaient-ils toujours d’une formation combattante ? Qui plus est, le retrait syrien ne signifiait-il pas que le scénario le plus probable était celui d’une progressive démilitarisation du mouvement sur le modèle nord-irlandais ? Toutes ces spéculations ont été balayées le 12 juillet dernier.
Or, fondamentalement, l’action du Hezbollah ne peut pas être perçue comme un acte solitaire. Le mouvement est issu de l’alliance syro-iranienne née dans les années 80. De façon pragmatique, les deux pays trouvaient un intérêt mutuel dans l’existence et l’action du Hezbollah. D’un côté, la Syrie entretenait un pouvoir de nuisance sur Israël et de l’autre, l’Iran khomeyniste pouvait diffuser le modèle révolutionnaire chiite. Si en 20 ans, le mouvement a logiquement acquis une certaine autonomie, il n’en a pas pour autant obtenu une indépendance financière, logistique. Dès lors, il est tout à fait légitime de penser, comme le président Chirac [2] , que l’opération récente n’a pu se mettre en place sans l’aval de sponsors étatiques.

De l’autre côté, Ehud Olmert se trouve dans une position particulièrement fragile. Les évènements de l’hiver dernier en ont fait un héritier d’Ariel Sharon, l’ont projeté sur le devant de la scène pour accomplir les taches non achevées de son prédécesseur. Kadima ne devait pour certains n’être qu’une coquille vide en l’absence de Sharon, Olmert a su prouver le contraire.
Or aujourd’hui, c’est sur le plan sécuritaire que son gouvernement doit faire ses preuves. Dès son arrivé, Olmert se trouve face à un gouvernement palestinien composé par le Hamas, mouvement qui n’entend pas reconnaître l’existence d’Israël.
Le retrait de Cisjordanie, annoncé pour cet été, devra attendre. L’embrasement quasi-simultané dans la bande Gaza et à la frontière libanaise oblige Olmert à faire une démonstration de force. C’est là, pour reprendre les termes de certains, son baptême du feu. Un baptême, ô combien dangereux, dont l’issue est encore inconnue.

Les scénarii envisageables
Voici deux scénarii envisageables, non exclusifs de nombreuses autres situations.
Le premier est celui d’un conflit strictement limité au Liban. Israël continue ses raids aériens et achève de briser les moyens de communication, de déplacement des Libanais. Le Hezbollah se retrouve étouffé, d’une part par l’intensité israélienne, qu’il ne peut soutenir au-delà d’un certain temps, d’autre part par les dégâts causés et les conséquences sur le moral des Libanais. Aucune intervention internationale n’a lieu, les Etats-Unis appuyant diplomatiquement l’opération israélienne et l’ONU n’arrivant pas à établir une politique cohérente. Ce scénario modéré, bien que dramatique pour les Libanais, ressemble à des précédents tels que l’opération « Raisins de la colère » menée par Shimon Pérès en 2001.

Le second scénario est celui d’un éclatement de l’équilibre régional préservé jusqu’ici. Le Hezbollah arrive à faire face, annonce la mort des soldats enlevés. Israël déploie alors ses forces terrestres. La Syrie et l’Iran appuient alors plus fortement le Parti de Dieu. Israël, embourbé au Liban, demande un soutien américain. Les Etats-Unis font alors pression sur Damas et Téhéran tandis que l’affrontement israélo-libanais relance la mouvance chiite irakienne. Bien qu’improbable à l’heure actuelle, une frappe israélienne sur la Syrie [3] ou, inversement, l’ouverture d’un front syrien sur le Golan marqueraient la fin de la paix froide entretenue depuis 1973. A ce moment-là, l’acteur décisif, tant par son poids diplomatique que militaire, sera l’Egypte.

Y-a-t-il une issue diplomatique ?

On le constate aujourd’hui comme à chaque fois : rien ne peut se faire au Moyen-Orient sans l’implication des Etats-Unis. La diplomatie française doit peser de tout son poids aux Nations Unies pour démontrer aux Américains qu’ils n’ont aucun intérêt à laisser Israël poursuivre sa destruction délibérée de l’Etat libanais.

D’une part, cet effondrement des structures étatiques libanaises replongerait le pays dans les conflits communautaires qu’il a vainement tenté d’endiguer jusqu’ici. Or un Liban instable n’est pas dans l’intérêt d’une diplomatie américaine qui souhaiterait prochainement se désengager militairement de la région. Comme nous l’avons expliqué, le Hezbollah n’est pas le seul représentant d’un islamisme radical au Liban. L’opportunité que pourrait alors saisir une mouvance sunnite serait fortement nuisible car elle pourrait relancer, si besoin est, la guérilla irakienne (du côté chiite comme sunnite).

D’autre part, le Hezbollah, décapité ou non par la puissance de feu israélienne, garde un pouvoir de nuisance. Sa stratégie asymétrique a démontré ces derniers jours qu’il pouvait rapidement déstabiliser l’équilibre régional. Or les Etats-Unis et ses partenaires européens ne peuvent négocier en position de force avec l’Iran si la situation ne se stabilise pas.

De cette façon, il importerait d’exiger d’Israël la fin de sa campagne militaire et de réaffirmer de l’autre côté la valeur de la résolution 1559 . Dans le même temps, l’erreur serait de traiter le Hezbollah sous le prisme strictement militaire. Le mouvement, contrairement à Al Qaeda, dispose d’un véritable socle populaire, d’une légitimité politique rendant sa désintégration vaine. Il s’agit de contraindre celui-ci à désarmer tout en assurant la continuité de son activité politique. Bien qu’inacceptable aux yeux de certains, cette concession, une fois le désarmement accompli, empêcherait le mouvement de se reproduire à l’identique ou, pire, comme une nébuleuse sans structure identifiable.

Bien évidemment, ces options dépendent de facteurs qui dépassent la seule diplomatie française à savoir l’intérêt que les Etats-Unis auront à s’investir sur le dossier et le degré de pragmatisme avec lequel le Hezbollah consentira à négocier sur la question de ses armes.

[1La chaîne libanaise LBC a récemment diffusé un sketch acerbe représentant le chef du Hezbollah arguant que son mouvement ne devait en aucun cas désarmer.

[2Allocution présidentielle du 14 juillet 2006.

[3Israël a déjà violé l’espace aérien syrien le 28 juin dernier pour dissuader le président Asad de soutenir les mouvements responsables de l’enlèvement du caporal Shalit dans la bande de Gaza.