L’Europe de la défense sous la présidence suédoise

Pour un petit pays comme la Suède, la présidence de l’Union européenne est un défi considérable. Or, il s’agit aussi d’une chance – la possibilité de pousser un peu l’UE dans la bonne direction. Pour un lecteur français, il faut noter qu’il y a quelques grandes différences entre la Suède et la France quant à la politique générale. La Suède est un fervent adhérent du libre échange. La Suède croit aussi à l’économie de marché mais elle n’adhère pas à une politique de laisser-faire, contrairement à ce qu’on lit souvent dans les journaux français. La Suède est aussi favorable à une vraie refonte de la CAP et pour la cessation des voyages si chers des institutions entre Bruxelles et Strasbourg. Finalement, il faut avouer que la présidence suédoise n’a pas donné une priorité aux questions relatives à la défense européenne. En fait, M. Reinfeldt s’y intéresse très peu.
La présidence suédoise a été dominée par trois questions très importantes : le climat avec le sommet de Copenhague ; la crise économique et l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.
Sous l’impulsion de la présidence suédoise, la Commission a aussi fourni un Rapport au Conseil pour une Stratégie Européenne pour la Région de la Mer Baltique. Curieusement, il n’y trouve pas de volet militaire/naval ou même de « sécurité dure » sauf en ce qui concerne le crime organisé.

La PESD – la PCSD.

Avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, nous ne parlons plus de la PESD mais de la PCSD – Politique Commune de Sécurité et Défense. Malgré la priorité faible donnée à ce sujet, la présidence a fait des efforts. Le programme contenait trois volets prioritaires :

- Les GT 1500 (groupement tactique d’autour des 1500 hommes avec une disponibilité très élevée) plus employable ;
- Les capacités ;
- Les opérations en cours ou en planification.

Les GT 1500.

La Suède assurait le commandement d’un GT 1500 dit « Nordique » au printemps 2008. Cela a exigé un grand effort et a coûté très cher. Ce commandement fut très utile sur le plan des expériences et pour le développement des forces suédoises. Cela n’empêche pas un certain sentiment de déception à cause des règles strictes européennes pour la mise en œuvre de telles forces. En effet, à partir de 2007, l’UE n’a jamais utilisé un GT 1500. Pour l’opération au Tchad, la Suède a donc été contrainte d’envoyer une autre force et de garder son GT 1500 en disponibilité à la maison. Basée sur cette expérience, la présidence avait comme but de revisiter les règles d’emploi pour les rendre plus pratiques.

Les capacités.

Le budget de défense suédois consacre peu de moyens aux nouveaux équipements. Par conséquent, on ne doit pas être trop étonné du manque d’initiatives pour de grands projets dans le domaine de la capacité militaire. La présidence se limite à une promesse d’« encourager le travail en cours ». On mentionne surtout les transports stratégiques et les hélicoptères. Le programme souligne aussi que chaque pays décide de ses propres engagements dans des programmes capacitaires. Le lecteur aura parfois l’impression que ce constat convient particulièrement aux intérêts de la Suède.
Le volet « capacités » est divisé en trois sous-programmes : les capacités civil-militaires ; la coopération avec l’OTAN et la surveillance maritime.
Quant aux capacités civil-militaires, il ne s’agit pas d’un développement capacitaire proprement dit, mais plutôt de méthodes pour la coordination civilo-militaire afin d’être en mesure de vraiment rendre opérationnelle « l’approche globale ». On dit souvent que l’atout de l’UE est exactement sa « boîte à utiles » très large. En vérité, l’Union n’a pas réussi à réaliser son potentiel dans le domaine. Une des raisons était la fragmentation de sa politique en trois piliers. Avec le Traité de Lisbonne, il y a un espoir que ce problème va s’estomper. Le programme suédois propose des idées pragmatiques comme des systèmes de communication interopérables entre civils et militaires, des transports en commun, la logistique, etc.
Le projet de renforcer la coopération UE-OTAN est peut-être étonnant pour ceux qui regardent toujours la Suède comme un pays neutre. Or, la Suède coopère très étroitement avec l’OTAN ; c’est seulement l’adhérence formelle à l’OTAN qui reste un tabou. En effet, la non application de « Berlin+ » pose des problèmes pour les Suédois parce qu’ils n’ont pas un « droit de regard » sur la planification de l’OTAN avant une décision formelle d’utiliser le commandement otanien pour une opération de l’UE. Avec la normalisation des rapports franco-otaniens et la vue plutôt positive envers la PESD de la nouvelle administration américaine, on pourrait avoir l’espoir qu’il y aura enfin une coopération plus étroite. Cependant, reste à résoudre le nœud cypriote, et l’on peut craindre que les Turcs et les Chypriotes fassent de leur mieux pour empêcher un tel développement.
Afin de réaliser la politique maritime intégrée et, surtout, les « autoroutes de la mer » – deux projets phare de la Commission, un système de surveillance maritime intégré sera certainement bienvenu. Un tel système est aussi nécessaire pour faire face aux défis comme les trafics, la pêche illicite, le terrorisme, etc., ainsi que pour la sauvegarde de l’environnement. En effet, un tel système constitue un pas essentiel envers une vraie stratégie maritime européenne qui, bien sûr, devrait également englober le volet naval.

Les opérations en cours ou en planification.

La présidence donnait la priorité à la planification de la poursuite des opérations Atalanta (au large de Somalie), Althea (en Bosnie) et EUROLEX (au Kosovo). Le gouvernement souligne le fait que la Suède a participé à toutes les opérations de la PESD aussi bien militaires que civiles. En effet, le programme de la présidence souligne que la raison d’être de la PESD est justement de faire des opérations, militaires et civiles, pour le maintien de la paix et de la sécurité.

Conclusion partielle.

Pour conclure, il s’agit d’un programme typiquement suédois : pratique et utile mais guère visionnaire. Cela ne constitue pas une critique – l’UE a certainement besoin de plus de projets pratiques que de grandes visions sans applications concrètes. Le lecteur sent aussi la priorité pour les questions civiles. Cependant, il peut ici s’agir d’une posture tactique envers la population suédoise mais il y a aussi, certainement, un certain berührungsangst c’est-à-dire la crainte de toucher trop directement aux questions militaires.

Les résultats.

Généralement, le gouvernement suédois a l’impression que la présidence dans le domaine de la PCSD a été très appréciée par les autres membres.
Le Conseil a accepté les idées suédoises quant à une augmentation de la flexibilité pour les GT 1500. Cependant, dans les conclusions on peut aussi sentir une crainte de voir les GT1500 perdre leur rôle moteur dans la transformation des forces européennes.
La Suède a réussi à faire accepter un plan de travail pour l’amélioration de la coopération entre civils et militaires. Ce plan doit traiter des idées précises.
Le Conseil semble être en accord avec les initiatives suédoises relatives à la création d’une surveillance maritime intégrée. Il ne s’agit pas d’acquérir un système spécifique mais de créer des synergies et d’intégrer les systèmes existants ou en développement. Le système doit dépasser la sectorisation, l’approche par piliers et les frontières. Le Conseil a souligné que ce projet est un bon exemple de synergie entre le civil et le militaire. Le travail va continuer dans plusieurs domaines notamment dans le groupe dit Wise Pen (« les stylos sages »), composé de cinq amiraux, et qui travaille pour l’Agence européenne de Défense. Il délivrera un rapport sur la surveillance maritime en 2010. Il reprendra les idées suédoises sur l’efficacité, le prix raisonnable et les questions légales.
Dans le domaine de coopération UE-OTAN, il n’y a guère eu de progrès significatifs. Si les négociations en cours sur l’avenir de Chypre aboutiront, il y’en aurait peut-être un espoir. Le fait que la France a normalisé ses relations avec l’OTAN ne semble pas avoir eu d’effets probants jusqu’à aujourd’hui.
Sous la présidence suédoise, le comité militaire a fait une étude sur l’interopérabilité. Une conclusion importante est la nécessité de faire développer une stratégie pour des opérations maritimes de sécurité (Maritime Security Operations, MSO). Le CHENS – le groupement des chefs des marines européennes – est parvenu à un accord, et c’est maintenant au tour de l’Espagne de développer un tel concept.
Quant aux opérations en cours, le travail nécessaire a été fait. Il y a des vues communes pour toutes les opérations sauf Althea en Bosnie où il n’y a pas d’unanimité quant à la suite à lui donner. On peut noter que la Suède va prendre le commandement tactique (Forces Headquarters) de l’opération Atalanta au large de la Somalie au printemps 2010. Le commandement sera assuré à partir du bâtiment de commandement HMS Carlskrona, qui, à l’origine, était conçu comme mouilleur de mines et bâtiment école comme La Jeanne d’Arc française.

La défense commune.

Finalement, il faut évoquer quatre volets un peu hors programme.
D’abord, le Traité de Lisbonne introduit une clause sur la défense mutuelle (42.7). Cependant, il y a suffisamment d’exceptions pour que cette clause soit sans réel effet. Les membres de l’OTAN seront toujours défendus par l’Alliance et les autres n’y seront pas liés. Dans cette optique, la politique suédoise contient deux idées nouvelles et peu connues : la déclaration suédoise dite de solidarité et le développement d’une coopération étroite entre les pays nordiques. Nous avons développé ces deux questions dans la revue Nordique n°19 (« La coopération nordique de défense – vers une alliance tacite ? »).
Cette déclaration de solidarité est assez remarquable : « La Suède ne restera pas passive si une catastrophe ou une attaque frappe un autre pays membre [de l’UE] ou un pays nordique [l’Islande et la Norvège]. Nous nous attendons à ce que ces pays agissent de la même façon si la Suède est frappée. La Suède doit avoir la possibilité d’apporter et de recevoir un soutien militaire. » Comme la Suède ici fait état d’une sorte d’alliance unilatérale avec les autres membres de l’UE, on aurait pu attendre que la réalisation de cette idée fût une priorité. En effet, qu’est ce que la Suède attend de faire pour aider les autres et qu’est-ce qu’elle attend des autres ? Une telle déclaration est évidement sans valeur si elle n’est pas transformée en plans et exercices.
La coopération nordique englobe essentiellement des projets visant une économie meilleure par le lancement de projets commun. Cependant, elle contient aussi des volets comme la mise en commun d’unités et de l’entraînement des forces. Or, il faut savoir que la participation outrepasse le cadre de l’UE puisqu’y participent aussi la Norvège (non-membre de l’UE) et le Danemark (qui ne participe pas à la PCSD). Finalement, il y a aussi une proposition visant à des déclarations de solidarité selon le modèle suédois décrit ci-dessus. On pourrait donc peut-être voir la coopération Nordique renforcée comme un pas vers une régionalisation de la défense de l’Europe.
En même temps, la France a lancé un projet de vendre des bâtiments de projection et de commandement (BPC Mistral) à la Russie. Pour beaucoup de membres de l’UE, il s’agit ici de « donner des allumettes à un pyromane ». En tout cas, il ne s’agit guère d’un geste en conformité avec la solidarité nécessaire pour établir une défense commune de l’UE.
On pourrait conclure qu’il y a eu des mouvements importants relatifs à la « défense de l’Europe » en dépit du fait que cette question ne figure pas dans le programme de la présidence. Il sera très intéressant de voir comment ces questions seront traitées dans le nouveau concept stratégique de l’OTAN au printemps 2010.

Conclusion.

La présidence suédoise de la PCSD a fait des pas utiles vers le renforcement de la PCSD. Il n’y a pas eu de grandes catastrophes ni d’initiatives surprenantes. Cependant, la « défense commune » de l’Europe semble être encore plus éloignée qu’auparavant. Sur le plan général, même si Copenhague n’est pas une réussite, la présidence s’est bien passée. Selon M. Barroso, la présidence suédoise a même été une très grande réussite, et les journalistes de La Tribune ont donné le titre d’« européen de l’année » au premier ministre Reinfeldt.
Finalement, il est intéressant de noter qu’il y a beaucoup de travail dans le domaine maritime – soit civil, soit militaire soit civil-miliaire. Peut-être, nous pourrons voir une vraie stratégie maritime de l’Europe dans le futur proche.
La France a des intérêts importants à affirmer et à défendre. Le nouveau think-tank de stratégie maritime, baptisé Téthys, pourrait jouer un rôle de caisse de résonance et de cercle de réflexions en ce sens.