Les interrogations concernant l’agitation accrue dans la province iranienne du Sistan-Baloutchistan à majorité sunnite

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Depuis de longues années Islamabad et Téhéran s’accordent pour réprimer le nationalisme baloutche de chaque côté de leurs frontières. Le moindre incident risque dégénérer en affrontements entre des populations traditionnellement rétives au pouvoir central et les forces de l’ordre.

Le problème :
Les régions du sud-est de l’Iran (provinces du Sistan-Baloutchistan, du Khorassan et du Golestan) peuplées de Baloutches, une ethnie de 5 millions de personnes à cheval sur le Pakistan, l’Afghanistan et l’Iran (qui en compte, à lui seul, environ 2,1 millions, soit près de 3 % des quelque 69 millions d’Iraniens) sont en état d’agitation quasi permanente.
Depuis de longues années Islamabad et Téhéran s’accordent pour réprimer le nationalisme baloutche de chaque côté de leurs frontières. Le moindre incident risque dégénérer en affrontements entre des populations traditionnellement rétives au pouvoir central et les forces de l’ordre. Les Baloutches reprochent à Téhéran de mener une politique de discrimination religieuse à l’encontre de la minorité confessionnelle sunnite, majoritaire dans la province. De son côté, le gouvernement central accuse des organisations baloutches armées, comme le Front du Baloutchistan Uni/Baluchistan United Front (BUF), de verser à la fois dans le banditisme et le terrorisme. Il existe de fait une opposition baloutche armée peu homogène, fondée sur des solidarités et des allégeances tribales, à l’image de ce qui existe du côté pakistanais. Des groupes comme l’Organisation démocratique du peuple du Baloutchistan ou encore le Conseil national baloutche (fondé en octobre 1994) prônent l’autonomisme, alors que le Front du Baloutchistan Uni/Balochistan United Front-Iran (BUF), issu en 2003 de divergences au sein de la mouvance nationaliste baloutche et basé à Londres, se présente ouvertement comme une formation indépendantiste.

L’émergence médiatique d’un nouveau groupe sunnite armé, le Joundallah (« Soldats d’Allah ») fin 2005-début 2006 :
Le 31 décembre 2005, la télévision Al-Arabiya, basée à Dubaï, avait diffusé une information selon laquelle un porte-parole d’un groupe sunnite prénommé Joundallah (« Soldats d’Allah ») avait fait état de l’enlèvement de neuf soldats iraniens lors de l’attaque d’un poste de police dans la région de Saravan, près de la frontière de l’Iran avec le Pakistan. Les membres de ce groupe auraient un lien avec l’attaque de gardes de la sécurité présidentielle survenue le 15 décembre dernier, toujours près de Saravan. C’est en effet dans cette région qu’une voiture du cortège officiel du président Ahmadinejad était tombée dans une embuscade près de Zabol. Deux des gardes du corps du président avaient alors été abattus, par des « bandits armés » qui sont, de fait, nombreux dans une région largement déshéritée et structurellement confrontée au trafic de drogue. Le 4 janvier 2006, le groupe Joundallah avait ostensiblement réclamé la libération de 16 de ses membres détenus par les autorités iraniennes, menaçant de tuer leurs otages. Le ministre iranien de l’Intérieur Mostafa Pour-Mohammadi, refusant toute négociation, avait le 7 janvier suivant affirmé que les ravisseurs des neufs soldats iraniens étaient influencés par les Talibans et même soutenus par les Etats-Unis. Dans une vidéo diffusée le 19 janvier 2006 toujours par Al-Arabiya, le groupe sunnite Joundallah avait ensuite annoncé avoir exécuté l’un d’entre eux, affirmant que cette exécution était une réponse aux « violations commises contre des personnalités sunnites dans des villes iraniennes ».
L’« opération Zabol » de mars 2006 : le 17 mars 2006, un groupe de responsables iraniens était tué par des agresseurs non identifiés dans une embuscade tendue entre la ville frontalière de Zabol et Zahedan, chef-lieu de la province du Sistan-Baloutchistan. Le ministère de l’Intérieur iranien affirmait le 4 avril avoir éliminé les auteurs de la tuerie. Téhéran avait même annoncé l’élimination du chef de ce groupe, Abdel-Malek Reygi. Mais pour démentir la version officielle, le Jundallah a par la suite annoncé avoir exécuté l’un des otages et le mouvement a affirmé, le 8 avril 2006, que si ses exigences n’étaient pas respectées, d’autres otages le seraient de nouveau. Cette menace a été mise à exécution quelques jours plus tard. Al Arabiya a diffusé le 11 avril une vidéo montrant Abdel-Malek Reygi, le chef du groupe sunnite iranien, assistant en personne à l’exécution d’un second otage.

La situation stratégique de la province dans le contexte de la crise sur le nucléaire iranien :
L’évolution de la situation micro-régionale articulée à la situation macro-régionale confère à ces territoires peuplés de Baloutches une situation plus stratégique que jamais que la République islamique ne peut se permettre de négliger, surtout si l’on a à l’esprit le syndrome obsidional de Téhéran et sa crainte de voir éventuellement instrumentalisée depuis l’extérieur la question « ethno-confessionnelle ». Et ce, d’autant qu’un « Congrès des nationalités » (baloutche, azérie, kurde, arabe et turkmène) s’était tenu à Londres en 2005. Il s’était conclu par un « Manifeste » pour un Iran fédéral, démocratique et laïc. Des membres du State Department ont rencontré des représentants dudit Congrès de Londres. Reuel Marc Gerecht, membre de l’American Enterprise Institute (conservateur) et ancien spécialiste du Moyen-Orient à la CIA, affirme que ce même State Departement étudie de près les options de covert action et les moyens d’attiser les tendances centrifuges iraniennes pour déstabiliser le régime de Téhéran. Une lettre « confidentielle » israélienne, Debka-net-Weekly , évoquait dès 2002 le fait que des unités de la CIA entrées en Iran par Zabol opéreraient déjà dans la province du Sistan-Balutchistan. Ceci rejoint, mais sans l’étayer, l’article paru dans The New Yorker, sous la plume de Seymour Hersh, : « l’objectif (serait) ‘d’encourager les tensions ethniques’ et de saper le régime » . D’un côté comme de l’autre, la guerre psychologique bat son plein.