La Guerre d’Irak et le Jeu des Puissances Etrangères

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Cet article propose une analyse du rôle des Etats iranien et syrien dans l’insurrection armée irakienne

L’Irak est un pays qui cristallise de fortes tensions géopolitiques et géostratégiques.
Géopolitiques d’abord, du fait de ses relations tendues avec l’Iran, et de son rapport privilégié avec la Syrie et le Liban : ces derniers ont été listés parmi les "avant-postes" de la tyrannie présentés en février dernier par la Secrétaire d’Etat Condoleezza Rice.
Géostratégiques ensuite relatives à ses ressources en pétrole qui intéressent fortement les puissances de la coalition ainsi que les minorités irakiennes sous le contrôle desquelles elles se trouvent. Il est à craindre que les dispositions de la Constitution, visant à partager les ressources au niveau national, ne soient pas scrupuleusement respectées.

Le jeu des États étrangers dans l’insurrection irakienne n’est pas neutre, et deux États principaux sont fortement suspectés d’apporter un soutien substantiel aux rebelles, la Syrie et l’Iran.

Le double-jeu de la Syrie

Malgré ses récurrentes dénégations quant au soutien apporté aux insurgés, la Syrie a dû céder aux pressions internationales et livrer à l’Irak en février 2005 le demi-frère de Saddam Hussein ainsi qu’un groupe de personnes suspectées d’être impliquées dans le soutien à l’insurrection. Cette démarche n’a fait que conforter les soupçons, déjà appuyés, du double-jeu syrien.

Tout d’abord, les combattants étrangers semblent suivre le même chemin pour entrer en Irak, un chemin qui passe par la Syrie. Loin d’être uniquement une voie de passage, la Syrie et son régime fournissent des moyens financiers, des structures d’entraînement et également des ordres aux futurs combattants [1].

Le problème du contrôle des frontières irakiennes se pose avec acuité, car longues de plusieurs milliers de kilomètres, elles se situent principalement dans des zones désertiques, faiblement montagneuses ou facilement navigables. Il n’existe donc pas de barrière frontalière insurmontable susceptible de rendre le transit de combattants plus compliqué.
Plus précisément, le transit entre la frontière syrienne et irakienne est d’autant plus difficile à maîtriser que certaines tribus ont le contrôle de la zone et qu’elles bénéficient de la bienveillance syrienne.

Enfin, le problème syrien est ambigu car bien que chiite, ce pays semble apporter un soutien indistinct aux Chiites et aux Sunnites : l’idée qui sous-tend cette position est que l’action sunnite affaiblit la posture américaine, et que le soutien au Conseil Suprême pour la Révolution Islamique en Irak - chiite - permet de renforcer sur le long terme leur positionnement idéologico-religieux sur la zone.

Cette communauté d’intérêts, chiite, partagée avec l’Iran nécessite de présenter la position de cet état historiquement adversaire de l’Irak, mais pragmatiquement très intéressé par le développement de l’insurrection armée.

Le triple jeu iranien

La position iranienne dans l’échiquier insurrectionnel irakien est à la fois complexe et équivoque. Elle peut être comprise sur trois plans différents.

Tout d’abord, le régime de Téhéran est, depuis la fin de la guerre avec l’Irak, un des adversaires farouches du gouvernement de S. Hussein.

Pourtant, et ce n’est pas surprenant, il s’est montré résolument opposé à l’intervention américaine en Irak comme le montrait, sans doutes possibles, les propos tenus par Ali Khamenei, le Guide Suprême iranien : "les Etats-Unis disent que leur objectif est l’élimination de Saddam et du régime baasiste. C’est bien entendu un mensonge. Leur vrai but est de s’approprier l’OPEP et d’engloutir les régions riches en pétrole pour proposer un soutien plus fort encore au régime sioniste et comploter contre les pays islamiques comme l’Iran, la Syrie, l’Arabie Saoudite..." [2] .

Enfin, après deux ans de présence américaine et d’insurrection armée, il semble que l’option choisie par l’Iran soit un entre-deux favorisant certains éléments de déstabilisation en Irak pour gêner les Américains, sans permettre une explosion totale de l’Irak au nom des trois objectifs que poursuit le régime iranien :

-  D’abord éviter que l’autonomie offerte aux Kurdes d’Irak n’influence les Kurdes d’Iran encore marqués par l’expérience de la République de Mahabad en 1946. Ainsi, "L’Iran propose un soft power en Irak, alors que les Etats-Unis utilisent leur hard power. L’Iran maintient des relations et un dialogue avec les Chiites, les Sunnites et les Kurdes" [3] .

-  Ensuite, l’Iran a intérêt à soutenir la reconstruction de l’Irak, en effet, un régime à forte représentation chiite, à condition qu’il ne devienne pas un concurrent de l’Iran, peut-être compris comme un vecteur de stabilité, conformément à la loi de Moore qui veut que les démocraties ne se déclarent pas la guerre, "les Chiites ne combattent pas les Chiites" [4] .

-  Enfin, la présence croissante des Etats-Unis aux abords de l’Iran demeure un sujet de préoccupation. Avec les troupes américaines en Irak et en Afghanistan, l’accroissement des intérêts américains dans le Caucase, et le développement de relations privilégiées avec les Etats d’Asie centrale, l’encerclement iranien est patent. C’est pourquoi la politique de soutien de l’Iran aux insurgés irakiens peut elle être qualifiée de "chaos maîtrisé", car il s’agit de faire partir les Etats-Unis, mais une fois seulement qu’un véritable gouvernement chiite légitime aura pris le pouvoir.

De manière plus précise, l’Iran tâche de demeurer discret dans ses manœuvres : "Les renseignements iraniens ne vont pas mener des attaques contre les forces de la coalition qui les relieraient directement à l’Iran, mais vont fournir une aide mortelle aux éléments subversifs irakiens sous la forme d’armes, d’abris ou d’argent" [5] . Concernant les mises à prix, il est fortement soupçonné que l’Iran ait "évalué" les forces de la coalition comme suit "2000$ pour chaque hélicoptère, 1000$ pour chaque tank détruit, et 500$ pour chaque soldat atteint" [6] .

Cette discrétion n’empêche pas de forts doutes de persister quant au soutien apporté au Conseil Suprême pour la Révolution Islamique en Irak, et surtout à l’armée du Mahdi dirigée par Moqtada al-Sadr. C’est lui qui mena les combats de guérillas urbaines à Sadr City, ainsi qu’à Najaf et Nassiriah. Pourtant, malgré les dénégations officielles de soutien apporté par Téhéran, certaines déclarations troublent le jeu, comme celles de l’ancien président et candidat à la récente présidentielle iranienne Hashemi Rafsandjani : "Contrairement aux groupes terroristes en Irak, il existe des corps puissants qui contribuent à la sécurité de la nation [...] parmi eux on peut citer l’armée du Mahdi, composée de jeunes gens enthousiastes et héroïques" [7] .

Ainsi, au vu des objectifs iraniens déjà présentés, il semble que le soutien à M. al-Sadr ait plutôt relevé d’une stratégie de court terme, contrairement aux rapports avec le Grand Ayatollah al-Sistani, le leader chiite irakien. Mais là aussi, sur le plus long terme encore, les différences entre l’Iran théocratique et l’Ayatollah al-Sistani, à la conception plutôt "séculaire", pourrait être source de discordes.

L’insurrection armée en Irak est donc l’objet de toutes les attentions, qu’il s’agisse des forces engagées, des pays frontaliers, ou encore de la société civile. Force est de constater que la vigilance demeurant très focalisée sur l’insurrection armée celle-ci peut sembler présenter une certaine homogénéité dans la durée, comme dans les modes opératoires. Or, il est clairement apparu que ces derniers ont évolué en terme lucratif, ou d’effet psycho-politique, selon l’efficacité atteinte. Cela a pour effet de perturber - ainsi que de montrer les faiblesses - l’ensemble des forces de la coalition, mais surtout des Etats-Unis.

[1Thomas E. Ricks, "General : Iraqi Insurgents Directed from Syria", The Washington Post, 17 décembre 2004 (accessible en ligne).

[2Yossef Bodansky, Defense and Foreign Affairs Daily, 24 février 2004.

[3International Crisis Group, Iran in Iraq : How much Influence ?, Middle East Report n°38, 21 mars 2005, p.10.

[4Ibid., p.10.

[5Edward T. Pound, "The Iran Connection", U.S News & World Report, 14 novembre 2004.

[6Ibid.

[7in International Crisis Group, Op. Cit, p. 18.