L’Iran dans une impasse, trois ans après l’accord nucléaire

Les faits. Après avoir brandi les pires menaces contre le régime des Mollah la semaine dernière, Donald Trump a indiqué lundi soir être « prêt à discuter avec l’Iran » et ce « sans condition », si cela permet « d’aboutir à quelque chose qui soit significatif ». Un geste qui a reçu une fin de non recevoir de Téhéran. François Géré, président de l’institut français d’analyse stratégique (Ifas), analyse pour l’Opinion le corner stratégique dans lequel se retrouve l’Iran.

Le 14 juillet 2015 à Vienne, l’Iran a signé avec les 5+1 (les membres permanents du conseil de sécurité et l’Allemagne) un accord (JCPOA) mettant, en principe, fin à une crise commencée en 2002. La négociation fut longue en raison de multiples oppositions aux Etats-Unis, des réticences de la France et de la critique des éléments radicaux iraniens. La volonté d’aboutir d’Obama a surmonté ces obstacles tout en contrant les oppositions intransigeantes d’Israël et de l’Arabie saoudite.

L’Iran s’est engagé à suspendre ses activités d’enrichissement d’uranium, à réduire son stock et à placer l’ensemble de ses installations (Natanz, Fordoo, Arak) sous contrôle renforcé de l’AIEA. En contrepartie, les Etats signataires se sont engagés à lever les sanctions économiques pesant sur les échanges avec l’Iran.

Depuis trois ans Téhéran a respecté ses engagements. La levée des sanctions, très progressive en raison de nombreuses difficultés techniques, a cependant permis la conclusion d’importants contrats notamment énergétiques et aéronautiques et le retour des entreprises occidentales sur le marché iranien dont les besoins sont considérables. Sans être parfait l’accord assure un contrôle de l’activité nucléaire iranienne jusqu’en 2030. Il n’inclut pas comme l’auraient souhaité les occidentaux les programmes de missiles balistiques iraniens.

L’arrivée à la Maison blanche de Donald Trump hostile à cet accord a changé la situation. Le président américain a exigé une modification afin d’inclure les missiles balistiques et de prendre en compte ce qu’il nomme la volonté hégémonique de l’Iran déstabilisatrice au Moyen Orient à travers ses liens avec les organisations terroristes notamment le Hezbollah libanais.

En dépit des démarches des autres signataires de l’accord, Donald Trump a annoncé le 8 mai 2018 le retrait des Etats-Unis en des termes très agressifs faisant référence à la nécessité d’un changement de régime en Iran.

Cette décision s’accompagne du retour des sanctions américaines mais aussi de l’application du principe d’extraterritorialité pénalisant les entreprises étrangères continuant à commercer avec l’Iran dès le 4 novembre. Reste à savoir si les Etats-Unis appliqueront les sanctions de manière rétroactive (par exemple sur le contrat de vente de 130 Airbus). Compte tenu de la virulence de l’équipe entourant Trump la probabilité est élevée.

Téhéran a atteint ce que Clausewitz nommait « le point culminant de la victoire » et désormais ne peut que voir ses avantages rognés

Aujourd’hui les Européens s’efforcent de convaincre l’Iran qui jusqu’ici a fait preuve de modération de ne pas sortir de l’accord et de renoncer à reprendre l’enrichissement d’uranium à 20 %. Malheureusement ils n’ont pas grand-chose à offrir. Effrayées, les entreprises européennes qui ont des actifs aux Etats-Unis ont déjà entamé leur repli. Pour contrer ou contourner les sanctions les idées ne manquent pas. Outre la loi de blocage de 1996, qui vise à neutraliser les effets extraterritoriaux des sanctions américaines, la BEI (banque européenne d’investissement) soutiendra le financement des entreprises travaillant en Iran. On envisage aussi la création d’une sorte de COFACE garantissant les PME investissant en Iran par un système d’assurances. Mais la concrétisation de telles mesures demandera un an, au bas mot, sous réserve d’efficacité réelle. Les Européens découvrent, plutôt tard, les limites de leur souveraineté économique et la faiblesse de l’euro face au dollar.

Repli défensif. Côté iranien, la situation n’est guère plus brillante. Sortir de l’accord, reprendre l’enrichissement, chercher à bloquer le détroit d’Ormoz, reprendre une stratégie indirecte à base de terrorisme serait faire le jeu de l’administration américaine qui n’attend que ces prétextes pour aggraver les sanctions et entamer une escalade jusqu’au seuil militaire. Par ailleurs, en Syrie, les forces iraniennes et leurs alliés se trouvent dans une posture délicate exposés aux raids aériens d’Israël désormais réguliers. Moscou n’entend certainement pas affronter l’aviation israélienne pour couvrir les opérations terrestres iraniennes. Bien plus isolé qu’on ne le croit, Téhéran a atteint ce que Clausewitz nommait « le point culminant de la victoire » et désormais ne peut que voir ses avantages rognés. Pour l’Iran, le temps amer du repli défensif est venu afin de préserver la sécurité intérieure et la stabilité du régime.

Le durcissement des positions américaines et les menaces de Trump, Bolton et Pompeo n’ont rien de comparable avec la Corée du Nord. L’environnement politique et stratégique est totalement différent. Trump n’a pas la moindre intention de faire un pas vers Téhéran où personne ne souhaite tendre la main vers cette administration comme l’ont montré les récentes répliques du général Soleimani qui se dit prêt pour la guerre. Les menaces de Trump visent à faire monter la tension et à renforcer aux Etats-Unis son image de protecteur de la nation et de ses alliés contre l’Iran terroriste. En Iran ces menaces ne font qu’aviver le nationalisme et souder la population autour de son gouvernement.

Une chose est assurée : les promesses de l’accord du 14 juillet 2015 ont vécu.

Lire l’article : François Géré, « L’Iran dans une impasse, trois ans après l’accord nucléaire », L’opinion, 31 juillet 2018.


Photo : Chess Set (Shatranj in Iranian), glazed fritware, 12th century. New York Metropolitan Museum of Art, November 2006, © Zereshk.