Les questions soulevées par la multiplication des attentats perpétrés dans la province iranienne du Khouzistan à majorité arabe
Le supposé problème « ethnique » constitué par le Khouzistan iranien :
La région du sud-ouest de l’Iran, la province du Khouzistan est majoritairement peuplée d’Arabophones (généralement estimés à environ deux millions de personnes - soit près de 3 % des quelque 69 millions de la population totale - voire beaucoup plus selon d’autres estimations) et, de ce fait, parfois qualifiée d’ « Arabistan ». Il s’agit d’une région stratégique parce qu’elle se trouve recéler la majeure partie du pétrole iranien (la région fournit effectivement 80 % de la production iranienne). Pour le pouvoir central prévaut généralement l’idée selon laquelle les Iraniens arabophones seraient des séparatistes déclarés, voire constitueraient une « cinquième colonne » potentielle. Quand Saddam Hussein a attaqué l’Iran le 22 septembre 1980, il comptait évidemment sur la sympathie de ces Iraniens arabophones vivant dans cet « Arabistan » dont il se prétendait le « libérateur ». Mais contrairement à ce qu’avait pensé le dictateur irakien, l’écrasante majorité des Arabes iraniens du Khouzistan, essentiellement d’obédience chiite, avaient défendu leur pays aussi vigoureusement que leurs frères persans notamment parce qu’ils rejetaient l’idéologie du panarabisme annexée par le « baathisme » irakien. Or, depuis 2004, un regain d’agitation touche la province et on ne peut exclure que cela soit aujourd’hui en relation indirecte avec la situation prévalant en Irak.
Une province en effervescence depuis le printemps 2005 :
En avril 2005, des émeutes au Khouzistan devaient selon les sources officielles causer la mort d’une vingtaine de personnes et d’une centaine de blessés dans des affrontements qui avaient duré une semaine dans plusieurs villes du Khouzistan. Les troubles s’étaient produits dans le prolongement de la publication d’un document qui fut d’abord présenté comme officiel mais ensuite dénoncé par les autorités comme un « faux ». Ce document aurait concerné la politique supposée de Téhéran accusée de chercher à modifier en profondeur la composition ethnique de la population du Khouzistan au profit des Persans délibérément privilégiés en termes d’emploi, et donc au détriment des Arabes. Il avait évidemment attisé la colère des Arabophones dans la mesure où il laissait supposer l’existence d’un plan pour « iraniser » et/ou « désarabiser » la province. L’Iran n’a pas hésité à accuser les Britanniques d’être derrière ces événements. Selon Téhéran, le gouvernement britannique aurait notamment permis à la mouvance séparatiste arabe du Khouzistan d’ouvrir une représentation à Londres en liaison avec les services secrets britanniques qui lui fournirait une aide en termes de logistique et d’encadrement avec l’aval tacite de la CIA. Mansour Ahmad al-Ahwazi, le Président du Front démocratique populaire d’Ahwaz (Popular Democratic Front for the Ahwazi Arab People/Jabhah al-Dimuqratiyah al-Sha’biyah li’l-Sha’b al-’Arabi al-Ahwazi), qui milite pour un Khouzistan indépendant, aurait ainsi rencontré, Jack Straw, le ministre britannique des Affaires étrangères. Quant au numéro 2 du Front du Khouzistan, Said Taher Naamahad, il aurait secrètement été reçu à la Maison Blanche le 23 avril 2005 [1].
La multiplication des attentats au Khouzistan depuis l’été 2005 :
Une série d’attentats à la bombe, imputés la guérilla arabe du Khouzistan avait en effet eu lieu peu avant les élections présidentielles iraniennes du 17 juin 2005. Le bilan devait finalement s’élever à au moins huit morts et 35 blessés. Le Front démocratique populaire d’Ahwaz avait depuis Londres immédiatement démenti toute responsabilité dans ces attentats et accusé le régime de Téhéran de les avoir organisé pour discréditer les revendications indépendantistes des Arabophones. Se démarquant délibérément du Front démocratique populaire d’Ahwaz, un mouvement de lutte armée des Arabes d’Ahvaz avait revendiqué le 16 juin suivant dans une vidéo mise en ligne sur un site internet la série d’attentats à la bombe perpétrés à Ahwaz. Le groupe, qui se fait appeler « Mouvement de lutte arabe pour la libération d’Ahvaz », avait affirmé que l’un des attentats, montré dans la bande vidéo, avait été mené par « la Brigade du martyr Moheddine Al-Nasser », du nom d’un membre du groupe, exécuté le 6 juin 1964 dans la ville d’Ahwaz. Le 3 septembre 2005, trois bombes détruisaient des oléoducs reliant Ahwaz à la raffinerie d’Abadan - la principale raffinerie iranienne dotée d’une capacité de 450.000 b/j et représentant 30 % de la capacité totale de raffinage de l’Iran -, et provoquait une interruption de l’approvisionnement de pétrole à partir de cinq puits. Les autorités avaient dans un premier temps évoqué une « explosion accidentelle suspecte » avant de reconnaître un acte de sabotage. Le 16 octobre 2005, Le pipeline du Khouzistan à Maroun avait encore été l’objet d’une explosion stoppant une nouvelle fois l’écoulement d’un des principaux oléoducs iraniens.
Des actes de sabotage imputés par Téhéran à une « cinquième colonne », voire à une « main étrangère » :
Khamenei avait déclaré le 3 septembre 2005 au cours d’une rencontre avec les membres importants du régime, qu’il avait des doutes quant à l’existence des personnes musulmanes qui puissent les yeux fermés contre le monde entier poser des bombes dans les bus et métros sans liberté de pensée : « De telles personnes n’existent pas dans ma religion et il ne peut s’agir que d’agents des Etats-Unis, du Royaume Uni ou d’Israël. ». Fait très rare, le « Guide » devait faire un déplacement au Khouzistan, en mars 2006, au cours duquel il prononça un vibrant discours en langue arabe pour louer le patriotisme iranien de la population arabe locale. Ce discours enflammé intervenait après la recrudescence des attentats depuis le début de l’année 2006 au Khouzistan. Le 24 janvier 2006, deux attentats à la bombe avaient en effet une nouvelle fois ébranlé la ville d’Ahwaz où le président Mahmoud Ahmadinejad devait se rendre, avant que sa visite ne soit au dernier moment annulée officiellement « pour mauvais temps ». Le nouveau président Ahmadinejad avait immédiatement ordonné aux ministères des Ministère des Renseignements et de la Sécurité (VEVAK) de lancer une enquête sur « le rôle de mains étrangères » dans les attentats dont le bilan définitif devait s’élever à huit morts et 46 blessés. « Des agents de renseignement des Etats-Unis, de Grande-Bretagne et d’Israël tentent de déstabiliser l’Iran suivant un plan coordonné, et l’incident d’Ahwaz en fait partie », avait déclaré le ministre de l’Intérieur Mostafa Pour-Mohammadi, renouvelant de précédentes accusations similaires [2]. La Grande-Bretagne avait vigoureusement démenti ces accusations. Alors qu’une bombe sonore avait de nouveau explosé le 19 février à Ahwaz, cette fois sans faire de victimes, le chef de la diplomatie iranienne Manouchehr Mottaki avait affirmé dans la soirée que les services de sécurité iraniens disposaient de documents prouvant « l’intervention et la coopération des commandants militaires britanniques dans le sud de l’Irak pour créer l’insécurité en Iran ».
L’hypothèse parfois évoquée d’un « jeu khouzistanais » anglo-saxon sur fond de crise nucléaire avec l’Iran :
Une partie de l’oléoduc qui relie la ville d’Abadan à Ahwaz a pris feu le 19 mars dernier et les services d’extinction d’incendies ont dû œuvrer presque neuf heures avant de pouvoir l’éteindre. Ce type d’accident est peut-être à rapprocher d’un autre incendie d’origine non identifiée qui avait partiellement détruit, le 19 février précédant, la raffinerie de Téhéran, malgré l’existence d’un système anti-incendie. Selon les autorités, cet incendie aurait été dû à une fuite dans des colonnes de fractionnement. Mais il pourrait également avoir une origine criminelle. L’objectif des saboteurs consisterait peut-être à hypothéquer la production d’essence en Iran. En cas de sanctions votées par le Conseil de Sécurité de l’ONU, cela serait particulièrement problématique pour l’approvisionnement du pays qui importe au moins 40 % de son essence. Cela le deviendrait plus encore pour Téhéran si l’armée iranienne devait affronter une opération militaire américaine d’envergure. La clé de la situation géopolitique résiderait précisément dans le sud-ouest de l’Iran, au Khouzistan, principale province pétrolière du pays, et donc « Talon d’Achille » de l’Iran du fait de sa population certes majoritairement chiite sur le plan confessionnel, mais ethniquement arabe, une province qui peut être à bien des égards considérée comme un « Koweït intérieur ». D’aucuns ont été amenés à parler d’un « jeu khouzistanais » qui consisterait pour les forces anglo-saxonnes présentes en Irak à apporter un soutien aux indépendantistes arabophones pour transformer, à terme, le Khouzistan en un protectorat autonome d’Arabistan ou d’Ahwaz afin de prendre le contrôle de la zone pétrolière susceptible de devenir, à terme, une hypothétique république démocratique d’Ahwaz.
[1] Cf. DEBKA-Net-Weekly 204, “the Khuzestan Front’s No. 2 leader Said Taher Naamahad paid a secret visit to the White House”, May 6, 2005.
[2] Cf. Zoltan Grossman, « Khuzestan : The First Front in the War on Iran ? », Evergreen State College in Olympia, Washington, 7 novembre 2005.