Ukraine : première guerre dans l’ère de l’information-communication


François Géré est président et fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS).


La guerre russo-ukrainienne déclenchée le 24 février 2022 représente la première forme d’affrontement dans l’ère info-communication.

Elle se distingue par plusieurs caractéristiques majeures :

  • 1. Le degré de violence physique et de destruction des biens et des personnes reste limité. Ce n’est pas une guerre de haute intensité comme en a produit l’ère industrielle à l’époque de la mobilisation des masses.
  • 2. Elle se développe en suivant les lignes d’une stratégie intégrale comportant toute la gamme des capacités d’influence (hard et soft power) : punition, rétorsion, intimidation, chantage, mais aussi séduction, corruption.

Elle se déroule dans tous les domaines : l’économie, la finance, le commerce, l’énergie, l’agriculture, la culture, et par-dessus-tout, la mobilisation psychologique par les medias.

Cela correspond en grande partie à la suggestion, déjà ancienne, de deux colonels chinois dans leur livre La guerre hors-limites [1].
La stratégie psychologique est devenue le mode majeur de cette stratégie intégrale. Car elle correspond à l’ère de l’info-com.

  • 3. L’arme la plus puissante de M. Zelinski est la communication. Il utilise la gamme complète de la stratégie psychologique : propagande, désinformation et, au plan militaire déception.
    Il dispose pour concevoir et développer cette activité de services nationaux dédiés, héritiers des vieux services soviétiques mais surtout d’une assistance en communication par des agences occidentales spécialisées.

La communication ukrainienne, permanente et omnidirectionnelle permet de remporter la guerre médiatique du moins en Europe contre la Russie dont la communication reste de bas niveau en raison du rapport obsolète de ce régime autoritaire avec l’information qui ne parvient pas à s’affranchir de la « culture » du KGB.

Il a conquis l’Union européenne, s’est emparé des médias (Euronews) grâce au soutien actif de relais actifs comme l’Institute for the Study of War entre les mains du clan néo-conservateur Kagan dirigé par la belle-sœur de Robert Kagan, époux de Victoria Nuland, n°3 du Département d’État, responsable depuis 2004 de l’Europe de l’est au Département d’Etat.

Pour mémoire Robert Kagan en septembre 2019 publia avec Antony Blinken un article dans le Washington Post pour fustiger le manque de leadership mondial de Donald Trump.

C’est donc une guerre dont la majeure est la stratégie psychologique et non pas la stratégie de destruction physique qui a prévalu durant le 20ème siècle.

Bien sûr subsistent encore des résidus de la guerre industrielle. Pour deux raisons.
La Russie n’a pas suffisamment modernisé son armée pour la mettre au juste diapason de l’ère de l’information.

Elle présente dans la conception et surtout dans l’organisation des opérations des éléments archaïques et des retards sur la gestion des flux logistiques. Trop de chars, trop d’artillerie conventionnelle, trop de concentrations vulnérables sur des espaces réduits, repérables et de ce fait vulnérables.

La seconde raison tient à la guerre médiatique. Les télés ont besoin de spectacle. Ils privilégient deux catégories d’images : les destructions et les lamentations. Peur et compassion sont devenues les deux hémisphères du cerveau européen.

Au total, M. Zelinski occupe victorieusement le terrain immatériel qui aujourd’hui détermine le terrain physique de la guerre.

  • 4. C’est une guerre par procuration entre la Russie et les États-Unis.
    Cette donnée politique majeure complique énormément la conduite de la stratégie.
    L’Ukraine de M. Zelinski est financée, armée, renseignée (les États-Unis mettent l’Espace à disposition, conditionnelle, de Kiev), et politiquement inspirée par Washington.

L’administration Biden (en fait Blinken) mène une stratégie qui n’est pas sans rappeler celle, opiniâtre et constante, de l’Angleterre de Pitt. Londres n’envoie pas de troupes (elle réserve l’essentiel pour sa flotte) mais finance les supplétifs européens : les Prussiens, les Hanovriens, les Russes contre la France et l’Autriche, au gré de coalitions instables mais au service d’un but politique constant : la suprématie sur les mers et la supériorité indirecte en Europe par la victoire définitive sur la France obtenue en partie en 1763 (traité de Paris) et totalement en 1815.
Cependant la situation actuelle est encore plus complexe en raison de l’existence de l’OTAN et du fonctionnement erratique comportant la Turquie laquelle se permet de jouer sur plusieurs tableaux.

Premier affrontement de l’ère de l’information, cette guerre constitue encore une transition de phase d’une ère (industrielle) à une autre (informationnelle).


[1Qiao Liang et Wang Xiangsui, La guerre hors limites, 1999.