France-Chine : Emmanuel Macron doit prendre la nouvelle route de la soie

Lorsque, comme Emmanuel Macron, on nourrit l’ambition de relancer une diplomatie qui battait de l’aile, la première condition est la disponibilité, la seconde le bon choix des priorités. Le gouvernement chinois attendait la visite du président français peu de temps après la clôture du 19ème Congrès du Parti communiste fin octobre.

Pékin souhaitait qu’il fût le premier chef d’Etat étranger à s’entretenir avec Xi Jing Ping. Au lieu de quoi le président français a donné la priorité à la Nouvelle Calédonie. C’est donc Donald Trump qui a été l’heureux élu. Pékin n’a pas été seulement déçu mais surtout n’a pas compris ce choix dans l’échelle des valeurs. Rien de gravissime cependant. Les relations franco-chinoises sont au meilleur de leur forme depuis 2009. La présidence Hollande a évité tout ce qui pouvait fâcher tandis que Laurent Fabius menait une diplomatie assidue, favorable à des échanges commerciaux fructueux et à des coopérations originales en matière d’environnement et de technologies innovantes. On pourrait se satisfaire de ce bilan en se contentant de le reconduire. Mais le gouvernement chinois souhaite aller plus loin dans ses relations avec la France.

La première préoccupation de Xi Jinping sera de présenter à son homologue français les orientations majeures de la politique chinoise telles qu’elles ont été exprimées dans son rapport « historique » au 19ème Congrès du Parti qui constitue incontestablement une étape dans l’évolution politique de la Chine. Xi Jinping vient de prendre place sur le podium des dirigeants historiques de la Chine avec Mao et Deng Xiao Ping. Il entend donc expliquer les orientations politico stratégiques majeures récemment adoptées. Le but est désormais est d’édifier intégralement une « société de moyenne aisance » en achevant l’élimination de la pauvreté -qui touche encore 4à 5% de la population soit presque la population de la France-. Grâce à quinze années de très forte croissance, la tâche est désormais de résoudre la nouvelle contradiction principale entre l’aspiration croissante de la population à une vie meilleure et le développement déséquilibré et insuffisant. Pour y parvenir la nouvelle équipe dirigeante entend faire à la fois rouge et vert.

Rouge, c’est la primauté absolue donnée au Parti communiste dont le rôle d’avant-garde est réaffirmé tandis que l’on impose à ses cadres, « purifiés » par la lutte contre la corruption, un comportement exemplaire et une discipline de fer. Le temps de l’héroïsme maoïste est revenu, accompagné parfois des mêmes slogans des années 1950 « Que cent fleurs s’épanouissent que cent écoles rivalisent ».

Vert, c’est le souci d’un développement respectueux de l’environnement et innovant en matière de technologies propres. Les dirigeants, en quelques années, ont pris la mesure des enjeux et des dangers. L’inter relation entre l’homme et la nature est devenue « une loi inéluctable » au même titre que le matérialisme historique. Les cités-jardins sont aménagées pour l’automobile électrique sous des cieux où les émissions de carbone auront été réduites dans l’esprit des Accords de Paris sur le climat.

La réalisation de cet objectif suppose une transformation majeure du positionnement de la Chine sur la scène internationale. Fini le temps du profil bas. Tout en restant prudente, la Chine met en place « une diplomatie tous azimuts, multidimensionnelle » visant à « construire une communauté de destin pour l’humanité ».

Telle sera la seconde préoccupation chinoise lors de la visite d’Emmanuel Macron : lui présenter concrètement le gigantesque projet des nouvelles routes de la soie tant terrestres que maritimes. Lancé il y a quatre ans par Xi Jinping lui-même ce projet vise à relier la Chine toute entière à l’Asie et à l’ensemble du continent européen. Il comporte trois routes terrestres et deux routes maritimes, l’une au sud concerne la péninsule indochinoise et l’Indonésie tandis qu’à l’Est l’autre traverse l’océan indien et, via Djibouti, longe l’Afrique orientale pour entrer en Méditerranée. Par la terre, les chemins de fer serviront à désenclaver la Chine de l’Ouest et ses voisins d’Asie centrale en leur fournissant les infrastructures de transport et d’énergie qui leur font défaut. Le succès de ces réalisations dépend aussi de la stabilité politique qui n’est pas forcément garantie. Les grands programmes d’infrastructure au Pakistan peuvent être gravement entravés par les défaillances multiples d’un pays ravagé par le terrorisme. Assurer la sécurité des chantiers et des employés ne sera pas une mince affaire. Désenclaver les zones tribales sur les confins afghans ne relève-t-il pas du rêve ? Les dirigeant chinois ont pourtant choisi d’assumer ce mot.

La réalisation des 900 premiers projets représente un cout estimé de 900 milliards de dollars. Cependant, par comparaison la Banque asiatique pour le développement évalue les besoins d’ici 2030 à 26 trillions de dollars. A ce stade environ 140 Etats et 80 organisations internationales soutiennent le projet et y participent à des degrés divers. Le gouvernement chinois se défend d’user du projet comme d’un instrument d’influence géopolitique. Il préfère mettre l’accent sur cinq domaines de « connectivité » : la coordination des politiques de développement, les infrastructures, le commerce, le capital et les échanges culturels entre les peuples, ce qui va du tourisme aux programmes d’échanges entre les grands théâtres.

Avec la Russie, d’abord réticente, la Chine a établi un fonds d’investissement coopératif régional à hauteur de 70 milliards de dollars dont une partie doit servir au développement en commun des espaces extrême orientaux sibériens. Lors de son passage au sommet de l’APEC à Danang, début novembre, Vladimir Poutine a tenu à célébrer avec Xi Jinping les mérites du « développement harmonieux » entre les deux pays. Dans sa conception géopolitique, le président russe a opté pour une position de trait d’union entre Asie et Europe.

L’Europe occidentale est déjà intégrée via les ports du Pirée, Venise-Mestre et la Rhénanie traversée par le chemin de fer Chongqing-Duisbourg. Tout récemment, la Chine a investi dans la connectivité ferroviaire Hongrie-Serbie. Rapidement, la nouvelle route de la soie étend et diversifie ses réseaux.

En France on l’a souvent évoquée mais jusqu’à présent bien peu prise au sérieux, faute d’en identifier correctement les mécanismes et les intentions. En l’absence de données précises, on hésite entre confiance et défiance, entre opportunité et menace. A quelques exceptions près, les responsables français ont pris du retard sur l’Allemagne et l’Italie, déjà fortement impliquées. Quant au public c’est à peine s’il a eu l’occasion d’y prêter attention. Or il y va de la prospérité de notre pays et de la dynamisation de nos régions. Deux exemples, parmi d’autres, l’illustrent.

La politique de la ville passe par le raccordement des conurbations françaises à la profondeur économique de l’immense marché chinois. La liaison Wuhan-Tourcoing a apporté à la société Décathlon une dynamique commerciale exceptionnelle. D’autres entreprises françaises peuvent en coopération avec les villes chinoises créer de semblables interconnexions sur un même réseau central.

Le passage de la route maritime de la soie par Marseille-Fos est susceptible de créer une passerelle commerciale avec l’Algérie où les intérêts chinois sont déjà importants. Ce pôle de prospérité méditerranéen constituerait la meilleure des solutions au problème des flux migratoires.

La visite d’Emmanuel Macron en Chine n’a donc rien d’une formalité protocolaire ; rien non plus de l’aimable reconduction à l’identique de bonnes relations. Elle est sous-tendue, côté chinois, par une grande ambition : associer un Etat européen majeur à une entreprise de développement mondial qui n’a aucun équivalent dans l’histoire. Pékin propose un partenariat pour plusieurs générations dont la dimension dépasse de très loin les contrats d’Airbus ou de centrales nucléaires.

Compte tenu de la dimension des enjeux, il n’est pas mauvais que Paris qui s’est déjà associé à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB) prenne le temps de se préparer à ces discussions pour formuler ses premières propositions. Encore ne faut-il pas trop reporter en laissant suggérer le scepticisme ou l’indifférence.