Guibert 2005 : la manœuvre des SIC

StrategieOTANPESDUnion européenne

Compte-rendu de l’exercice de déploiement d’état-major du Commandement de la Force d’Action Terrestre dans le cadre de Guibert 2005.

C’est à Mailly-le-Camp, à mi-chemin entre Troyes et Reims, que le Commandement de la Force d’Action Terrestre (CFAT) a déployé entre le 12 et le 24 mars dernier un état-major de division multinationale complet, élément central de l’exercice Guibert 2005. Confié au général Meille du CFAT, le principal exercice de l’année pour de l’Armée de terre avait pour cette édition 2005 une dimension particulière.


En effet, comme l’explique le CFAT, Guibert 2005 constituait un exercice d’auto-entraînement du futur Corps de Réaction Rapide France (CRR Fr) afin qu’il puisse répondre aux critères de certification HRF (High Readiness Force) de l’OTAN. Pour le général commandant la Force d’Action terrestre, le GCA Thomann qui a la charge de développer le CRR Fr, le calendrier est effectivement serré : obtention de la certification technique initiale pour mi-2006 (IOC) puis de la certification opérationnelle finale (FOC) au premier semestre 2007. Selon les propres termes du Général Commandant la Force d’Action Terrestre (ComFat), la vocation de Guibert 2005 réside aussi dans « l’entraînement et la certification opérationnelle des Etats-majors de division en vue de leur engagement dans le cadre de l’OTAN ou de l’Union Européenne. ». C’est au général Hotier qu’est revenu le commandement de cet état-major de division organisé pour Guibert selon le modèle du futur CRR Fr et dimensionné pour une manœuvre de 23 000 militaires. Impliquant également l’entraînement du Commandement de la Force Logistique Terrestre (CFLT) à travers l’exercice Hermes, Guibert 2005 fut l’occasion de tester plusieurs innovations opérationnelles rendues possibles par les matériels de C3R les plus récents de l’Armée de terre.

Mailly-le-Camp au cœur de la manœuvre des SIC

En sa qualité d’exercice de commandement (CPX), Guibert 2005 avait particulièrement insisté sur l’entraînement d’un état-major de division aux procédures de l’OTAN et de l’Union Européenne qui avaient été définies selon l’accord « Berlin Plus » du 16 décembre 2002.
Inspiré par les crises récentes, le scénario de l’exercice prévoyait dans un contexte multinational une opération de haute intensité visant la protection d’un pays fictif contre une agression extérieure. D’offensive, la manœuvre était suivie par une action défensive pour s’achever sur une phase de stabilisation. Pour l’entraînement du futur CRR Fr à l’environnement exigeant d’aujourd’hui, l’exercice avaient prévu les aspects caractéristiques des opérations de réponses aux crises (ORC) : le traitement des menaces asymétriques comme le terrorisme, l’engagement en espace lacunaire, la sécurité en zone arrière, et la prise en compte des dimensions politiques et médiatiques.

En tout, engageant 3000 militaires, dont ceux de la 1ère Brigade belge et ceux de la 18ème Panzer Brigade allemande, l’exercice a mobilisé 680 postes SIC-F en version 1.8 [1], 50 postes internet, et six moyens de visioconférence, un ensemble qui avait pris place dans des Abris Modulaires de Postes de Commandement, abris standard pour l’accueil d’un état-major de campagne, la plupart étant fournie par le 43ème Régiment d’Infanterie. Au titre de la dimension multinationale de l’exercice, l’Armée de terre française avait été rejointe par 15 autres nations : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Canada, Espagne, Etats-Unis, Grèce, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Suisse, Royaume Uni, Tunisie et Turquie. Très classiquement, comme pour tout exercice de cette ampleur, l’état-major de division était évaluée par une cellule 3A, Analyse Après Action, une mission confiée au CDEF, le Centre de Doctrine d’Emploi des Forces.

Installé en 24 heures à Mailly-le-Camp, l’état-major de division avait puisé ses moyens propres dans les nouvelles structures de commandement de l’Armée de terre que sont les Etats-Majors de Force (EMF) : il s’agissait précisément de l’EMF 2 de Nantes (leader) et de l’EMF 4 de Limoges (en soutien). Armés chacun par 170 militaires, dont 55 officiers, les EMF constituent aujourd’hui une réserve permanente de moyens de commandement pour les forces projetées de niveau division. Formé par deux EMF, le PC de division de Mailly-le-Camp s’organise en cellules opérationnelles et en cellules logistiques. Les premières regroupent le B2 Renseignement, le B3 Manœuvre (celui ci comprend la cellule 2ème dimension 2D et la cellule 3ème dimension 3D), le B5 Plan et le Détachement de Liaison du Bataillon de Renseignement Multicapteur. Les cellules logistiques sont au nombre de cinq : B1 Personnel, B4 Logistique, B 8 Budget, B 9 Actions civilo-militaires et B 6 SIC et Sécurité de Systèmes d’Information.

A noter que deux fonctions techniques se déclinent dans le fonctionnement d’un état-major : les systèmes de télécommunications et les systèmes d’information, leur maîtrise étant essentielle au soutien de la manœuvre de commandement. Une fois déployé pour Guibert 2005, l’état-major de division a démontré pour la première fois sa capacité à effectuer une nouvelle forme de bascule de PC, une aptitude que rendent possible depuis fin 2004 de nouveaux serveurs haute capacité et des liaisons fibre optique haut débit. Outre la mobilité du commandement, l’opération de bascule de PC permet de reconfigurer un état-major en fonction de la progression de la manœuvre, ou de le délester de ses moyens non directement dédiés au combat ou à la manœuvre.

Le transfert des données informatisées entre stations SIC-F étant effectué via le serveur, opération qui ne prend qu’une heure et demi, la bascule de PC à PC implique ensuite un retrait des abris concernés de la structure d’état-major de la division en vue de leur redéploiement géographique. Dans le détail de l’exercice Guibert, la bascule de PC à PC a conduit l’état-major de Mailly-le-Camp à rejoindre le camp de Mourmelon. La chaîne de commandement est pour sa part maintenue vers les unités via le réseau de zone hertzien RITA 2G qui a désormais pris la suite du RITA 1G. S’y ajoutent les moyens de télécommunications par satellites qui font appel maintenant à des stations tribande (un équipement souple qui apporte un service sur les réseaux civils internationaux et sur le réseau militaire Syracuse) et des radios de combat qui assurent les liaisons jusqu’aux échelons au contact. Ces moyens étaient renforcés par l’utilisation d’un relais hertzien mobile type C3M de l’Armée de l’air pour l’intéropérabilité interarmées.


Opérations planifiées et actions en boucle courte

Une manœuvre militaire, comme l’a appliqué le CPX Guibert, peut se schématiser selon un cycle décisionnel qui intègre des opérations planifiées et le déclenchement d’actions décidées en réaction à l’évolution de la situation ou le traitement de cibles ou de menaces non prévues. L’artillerie et l’arme aérienne jouent alors un rôle essentiel.

En sa qualité d’entraînement à une manœuvre aéroterrestre, Guibert 2005 a nécessité l’intégration au PC de Division d’une cellule 3 D interarmes et interarmées gérant l’ensemble des actions de la 3ème dimension : artillerie divisionnaire (destinée à traiter des cibles 20 km au delà des contacts), hélicoptères de l’ALAT et avions de combat de l’Armée de l’Air. A ce niveau, relevons une nouveauté : l’intégration du CMO Artillerie à l’état-major de division.

S’agissant des moyens aériens, la planification pour eux s’effectuent selon des cycles de 24 H, mais plusieurs patrouilles d’avions d’appui feu sont placées en attente au dessus du dispositif avec pour mission de traiter une cible d’opportunité ou une menace soudaine qu’il convient de neutraliser selon un processus de boucle courte de type Time Sensitive Targeting. Installé dans la cellule 3D, l’officier de liaison de l’Armée de l’air reçoit sur son poste de travail une restitution de l’image de la situation aérienne où s’affichent les positions des patrouilles en vol et le listing des Air Tasking Order. Dans le cas d’une opération réelle, de manière à assurer l’intéropérabilité avec l’Armée de l’Air, l’état-major de la division serait alors relié à un centre de coordination Air, lui même connecté à un Combined Air Operations Center (CAOC), entité chargée de la conduite des opérations aériennes.

Pour Guibert 2005, la mission Close Air Support (CAS) était assurée par des chasseurs-bombardiers Mirage 2000 D français et des F-16 belges, ces derniers ayant aussi une mission de supériorité aérienne de par leur capacité multirôle. Pour les F-16 belges, il est donc question ici d’assumer une action similaire à celle de l’opération « Allied Force » au Kosovo en 1999. Mais, Mirage 2000 D et F-16 ont pour point commun de pouvoir mettre en œuvre à partir de leurs nacelles optroniques des armes guidées laser. Ils étaient épaulés par des intercepteurs Mirage 2000C et « Tiret 5 » dédiés à la supériorité aérienne. Pour sa part, la Luftwaffe avait fourni des Tornado ECR de lutte anti-radar, ce que leur confèrent leurs missiles AGM-88 HARM. 

Par ses possibilités d’échanges d’informations tactiques, la numérisation des forces est donc au cœur des actions en boucle courte, cela en fédérant étroitement les unités terrestres interarmes au contact, les effecteurs agissant dans la troisième dimension, les centres de mise en œuvre (CMO) des unités, et bien sûr l’Etat-major de division. En cette matière, deux grandes unités de l’Armée de Terre : la Brigade de Renseignement et la 2ème Brigade Blindée seront numérisées, même si la première est déjà bien équipée. Elles disposeront ainsi d’une chaîne complète de systèmes d’information comprenant : le SIC pour les niveaux division et brigade, le SIR (Système d’Information Régimentaire) pour les Centres de mises en œuvre des régiments, et les terminaux du SIT ou Système d’Information Terminale pour les véhicules au contact et en intervention.

Le BRM, une innovation opérationnelle de Guibert 2005

L’une des originalités de Guibert 2005 est d’avoir prévu l’intégration à la division d’un dispositif expérimental, le Bataillon de Renseignement Multicapteur (BRM).

Son action était planifiée par un Détachement de Liaison intégré à l’état major de la division, précisément la cellule B2 (Renseignement) de l’état-major de la division. Impliqué dans les processus de boucle courte, cette unité interarmes de renseignement a puisé ses moyens dans la Brigade de Renseignement, réservoir de forces pour la recherche du renseignement multisource nécessaire à la manœuvre. Mais, c’est au CMO du BRM, à plusieurs dizaines de kilomètre du PC de division, que se commandent directement les unités de capteurs, chacune étant spécialisée dans un mode particulier de recherche.

Unité multicapteur, le BRM a ainsi rassemblé :
- Les drones SDTI et les drones légers à courte portée Pointer du 61ème Régiment d’artillerie (surveillance optique),
- Une escadrille d’hélicoptères Gazelle Viviane (renseignement image) de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre,
- Des équipes infiltrées de recherche d’origine humaine provenant du 2ème Régiment de Hussards dotés de terminaux tactiques Maestro et Granite dédiés au ROHUM,
- Une compagnie de Renseignement d’Origine Electromagnétique fournie par le 54ème Régiment de Transmissions. Celle-ci a mis en œuvre des Equipes Légères de Guerre Electronique et les capteurs Linx, tout nouveau système ROEM intégré en véhicule VAB du Système de Guerre Electronique de l’Avant Valorisé (SGEA Valo).

A noter que le volet guerre électronique de Guibert comprend aussi des brouilleurs Bromure du 54ème RT installés en véhicules VAB. Le DL de la BRM présent au PC de division intervient alors directement pour la coordination de l’action de brouillage avec la manœuvre terrestre elle-même. En matière de capteurs déployés, SDTI et Linx représentent les deux nouveaux atouts technologiques mis au service du PC de division. Pour autant, notons que d’autres moyens de la BR, car relevant d’un engagement au profit du corps d’armée, n’ont pas été employés tels que les hélicoptères radar Horizon (1er RHC) ou les drones rapides CL 289 (61ème RA).
En liaison avec le CEERAT (Centre d’Enseignement et d’Etudes du Renseignement de l’Armée de Terre), les organisateurs de Guibert ont cherché à valider cette expérimentation, tout en optimisant les procédures et l’emploi d’une unité de renseignement multicapteur au niveau 2 (division) avec ses matériels actuels. Les conclusions permettront alors de déterminer s’il est nécessaire de développer une unité spécifique de renseignement pour ce niveau d’engagement.

Etape dans la constitution du CRR Fr, Guibert 2005 est donc aussi un message politique et diplomatique, celui démontrant que la France saurait tenir la place de nation cadre d’un engagement de la force du niveau d’une division dans un conflit de haute intensité sur un théâtre extérieur. Un progrès de plus donc pour l’édification d’une défense européenne crédible, que celle-ci s’exprime sous la bannière de l’OTAN ou de l’Union Européenne.


Remerciements : l’auteur et toute l’équipe de l’IFAS invitée à Mailly-le-Camp tiennent à remercier pour leur accueil et leur disponibilité, le général de division Frère, chef d’etat-major du CFAT, le général Hotier, commandant l’EMF 4, le général de corps d’armée Meille en charge du CRR Fr, et tous les officiers et sous-officiers rencontrés lors de l’exercice Guibert 2005.

[1Le Système d’Information pour le Commandement des Forces (SICF) fournit à chacun des acteurs du champ de bataille les services d’information destinés à faciliter le commandement des forces terrestres dans tous les cas d’emploi. Le SICF est constitué de postes de travail. Chacun d’eux fournit des services d’échange, de traitement, de présentation, de stockage et de protection des informations nécessaires au commandement. Le SICF intègre également des fonctions de bureautique et de messagerie. Il est relié aux systèmes de communication (RITA, satellite...) au moyen d’un poste faisant office de serveur. Il couvre les principaux domaines fonctionnels du champ de bataille et prend en compte le travail des cellules état-major telles que conception, planification, synthèse, conduite, renseignement, feux et appuis, logistique et mouvement, milieu (2D), troisième dimension (3D) et spectre électromagnétique. Son module s’adapte et constitue un moyen d’aide au commandement pour les postes de commandement de niveau brigade, division et corps d’armée. (source : Armée de terre)