Pourquoi la menace terroriste islamiste pèse-t-elle aujourd’hui encore sur la France ?

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A la suite de la récente allégeance prêtée par le Groupe pour la Prédication et le Combat (GSPC) algérien à al-Qaïda, il convient de s’interroger sur les raisons avancées par les groupes fondamentalistes armés musulmans pour s’attaquer à la France.

L’existence de liens forts avec les pays arabes, qu’ils s’agissent de liens historiques, économiques, politiques ou encore personnels ainsi que la très claire opposition de la France à la campagne irakienne de 2003 sont indéniables. Toutefois, les militants des groupes fondamentalistes armés musulmans — se réclamant des réseaux transnationaux du Jihad — ont développé un certain nombre d’arguments pouvant, de leur point de vue, justifier une attaque sur son sol ou contre ses intérêts à l’étranger.

Il existe deux séries d’arguments qui supportent cette position, endogènes d’une part, et exogènes de l’autre :

Les éléments endogènes

La France participe en Afghanistan à la fois à "l’opération Enduring freedom" (OEF), sous commandement américain, au travers du dispositif "Héraclès" [1] et de l’opération "Epidote" [2] , mais aussi aux opérations de l’OTAN avec l’aide apportée à la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS). Or, il apparaît que l’insurrection talibane se renforce et que la cristallisation des critiques sur la présence étrangère en Afghanistan ne cesse de s’accroître.
Ensuite, la France a voté la loi réglementant le port du voile à l’école en mars 2004, ce qui constitue un contresens religieux dans les milieux islamistes les plus conservateurs, qui ne peuvent concevoir une réglementation du religieux par le politique. C’est cette même démarche qui rend l’existence du Conseil français du culte musulman sujette à de vives critiques depuis l’étranger, dans les milieux fondamentalistes.
En outre, de jeunes Français musulmans sont attirés par l’idée de "combattre" pour leurs idées [3] . Aussi, deux tendances sont à craindre, qu’il s’agisse d’une part des Français se rendant en Afghanistan, en Irak, en Tchétchénie ou dans les Balkans et susceptibles d’en revenir pour passer à l’action (et pas nécessairement dès leur retour) ou pour s’en prévaloir et faciliter l’endoctrinement de nouvelles recrues ; d’autre part les Français musulmans fondamentalistes susceptibles de s’endoctriner via le web et les cercles salafistes prenant de l’importance dans certaines zones du territoire : un passage à l’acte est envisageable sans nécessairement qu’un passage par l’étranger soit nécessaire.
Enfin, il est à noter que malgré les efforts mis en place dans le cadre de la lutte antiterroriste en France, la démarche de coopération internationale demeure très pauvre, comme le notait récemment le Secrétaire Général de l’OIPC Interpol dans une tribune [4]. Et le niveau de coopération ne pourra s’élever que si des standards communs européens et transatlantiques sont établis quant au diagnostique des causes du terrorisme, à l’évaluation de la menace et aux méthodes pour la prévenir [5].

Les éléments exogènes

Il faut tout d’abord noter qu’une fatwa datée de février 1998 et rédigée par le Front Islamique Mondial pour le Jihad contre les Juifs et les Croisés - un nom utilisé par al Qaïda - visait clairement les intérêts américains ainsi que ceux de leurs alliés. La France, malgré les tensions connues avec son ennemi intime américain, demeure un allié indiscutable. A cela s’ajoute que les liens de la France avec les classes dirigeantes du monde arabe ne sont en rien un rempart contre des actions violentes, bien au contraire, tant le soutien à ces régimes "apostats" est décrié par une proportion croissante des populations du monde arabe [6] .
La France est un des pays du monde occidental développant un modèle de démocratie, de capitalisme et de société abhorré par un certain nombre d’extrémistes : cela fait de la France un pays cible dans l’absolu. En pratique, les services de renseignements français ont récemment fait part de prêches de plus en plus violemment dirigées contre la France à l’étranger dans certains pays du Moyen-Orient : cela fait de la France un pays cible de facto.

Ainsi, les tensions grandissent (Irak, Afghanistan, Liban) et le Moyen Orient qui s’est enflammé n’est absolument pas calmé. L’Europe, et par conséquent la France, semble être un terrain d’attaque propice aux initiatives terroristes, comme l’ont montré les attentats de Londres et de Madrid. Toutefois, il est important de ne pas céder à la panique car les éléments indiqués sont, pour beaucoup, valables depuis déjà plusieurs années sans que la France n’ait eu à souffrir d’une attaque labellisée "al-Qaïda" depuis 2002 [7] . Il apparaît en effet que la frange radicale prête à l’action se réduise pour laisser une place plus grande à la voix fondamentaliste non violente, préférant la tribune publique voire politique à l’action armée . Il s’agit là d’un nouveau, mais pas moins nécessaire, défi à relever.


Grégoire GEIGER est doctorant, il a participé à la rédaction de l’ouvrage "Pourquoi le terrorisme" avec François Géré, publié aux éditions Larousse. Il est actuellement invité par l’Institut pour le contre-terrorisme à Herzliah, en Israël.

[1Combinaison d’un dispositif maritime, aérien et terrestre visant à lutter contre le terrorisme.

[2Aide à la formation de l’armée nationale afghane.

[4Ronald K. Noble, "All terrorism is local too", The New York Times, 13 août 2006.

[5Pour approfondir, voir Jeremy Shapiro et Daniel Byman, "Bridging the Transatlantic Counterterrorism Gap", The Washington Quarterly, Automne 2006, pp. 33-50.

[6Maha Azzam, Al Qaeda five years on : the threats and the challenges, Chatham House, Septembre 2006, http://www.chathamhouse.org.uk/pdf/research/mep/AlQaeda0806.pdf

[7En mai 2002 un attentat à Karachi (Pakistan) avait tué 11 Français travaillant pour la DCN, et en octobre un attentat sur un pétrolier français au large du Yémen a été perpétré.