Position européenne sur l’emploi d’armes chimiques en Syrie

« Le Monde » a pu constater sur place que le régime syrien utilise des gaz chimiques, ce que Barack Obama avait qualifié de « ligne rouge ».

Mais à Bruxelles, faute de consensus sur une potentielle intervention, les Vingt-Sept privilégient une solution politique.

On a voulu (surtout les Britanniques) faire de l’utilisation de l’arme chimique une sorte de prétexte pour légitimer une intervention sur le modèle de l’Irak en 2003. Barack Obama a utilisé ce terme désormais galvaudé de « ligne rouge » tout en indiquant que les Etats-Unis n’interviendraient pas militairement. Cette incohérence a évidemment aggravé la situation. Comme les accusations contre l’Irak étaient fausses désormais la plus grande prudence s’impose. L’UE ne veut donc pas se laisser entraîner sur la base d’informations insuffisantes. Elles sont corroborées par des journalistes qui font état d’une utilisation. Mais à quelle échelle ? Dans quelles conditions opérationnelles ? Afin d’obtenir quels résultats ? L’emploi de telles armes ne permet pas d’obtenir un succès stratégique significatif, compte tenu de la nature des combats en milieu urbain où les combattants sont très proches les uns des autres. Seule une utilisation massive à grande échelle permettrait d’obtenir un résultat stratégique mais Bashar el Assad sait que ce serait cette fois la fin de ses chances.

La solution « politique » ou « diplomatique » n’est qu’une manière, hélas classique, pour masquer le refus et l’incapacité d’un véritable engagement. Dans ces conditions, la Conférence « Genève 2 » est un échec déjà annoncé.

Au-delà de la complexité de la situation, cette indécision européenne dans la gestion de la crise syrienne traduit-elle un manque de vision et de stratégie de l’Europe sur les questions diplomatiques ?

L’UE n’a pas démontré une indécision mais une division profonde et durable qui, une fois de plus, s’est traduite par l’incapacité du SAE à agir. Déjà en 2003 l’UE s’était divisée sur l’engagement en Irak. Les Etats-Unis recevaient le soutien des Britanniques, des Polonais, des Tchèques tandis que la France et l’Allemagne rejoignaient la Russie dans leur opposition à l’invasion de l’Irak.

Aujourd’hui dans le cas syrien, on constate une division dont la nature est nouvelle et bien plus complexe.

La Grande Bretagne pousse à l’action de soutien. La France qui a été la première à reconnaître la nouvelle entité syrienne a déclaré vouloir soutenir militairement l’Armée syrienne tout en conditionnant ce soutient à l’aval des Nations Unies et à celui de l’Union européenne.

L’Allemagne est constante dans son refus de tout engagement extérieur (à l’exception de sa participation en Afghanistan critiquée et aujourd’hui regrettée comme fort peu utile).

Quant à la Russie, loin d’être abstentionniste, elle est devenue un acteur majeur dans la guerre civile, en soutien de Bashar el Assad. Les cartes diplomatiques sont donc brouillées en sorte que l’UE en fait les frais.

La véritable question est de savoir si les différents Etats occidentaux concernés disposaient et disposent encore des capacités d’une intervention ne parlons même pas au sol mais simplement d’une capacité à soutenir efficacement ceux dont ils approuvent la légitime rébellion, notamment par l’envoi d’armes et d’instructeurs.
Les Etats-Unis sont encore les seuls à disposer de moyens mais ils ne veulent plus s’engager sur le terrain, pas même établir une « no fly zone » (espace d’interdiction aérien) comme ce fut le cas en Lybie.

Par ailleurs, les Etats européens montrent une grande prudence à l’égard de l’opposition syrienne. Force est de tenir cette réserve pour justifiée quand on analyse les composantes de l’opposition dont la force principale sur le terrain, Le groupe jihadiste Al Nosra s’est déclaré membre d’Al Qaida.

On vérifie à nouveau qu’il n’existe pas de politique européenne commune et que le Service d’Action Extérieure ne peut agir comme un ministère européen des affaires étrangères.

Après la chute du mur de Berlin, l’Europe s’est-elle laissé endormir en croyant au mythe de la fin de l’Histoire alors même que les autres pays n’avaient pas renoncé à leur volonté de puissance ?

La fin de l’histoire est une idée américaine qui correspondait à l’effondrement de l’Union Soviétique. Les neo cons américains ont pensé pouvoir réorganiser le monde conformément aux valeurs et aux intérêts des Etats Unis et certains de leurs Alliés. Ce rêve est mort dans les sables de l’Irak et les montagnes de l’Afghanistan.

L’union européenne a-t-elle péché par naïveté ? Notre prétention à l’universalisme est-elle un leurre ? En refusant de se « salir les mains » par souci du politiquement correct, l’Europe commet-elle une faute morale bien plus lourde ?

L’UE a fait preuve d’un extraordinaire manque de réalisme. En Bosnie, au Kosovo, elle a du mendier l’aide des Etats-Unis. Mais Milosevic le dictateur serbe a finalement été vaincu, arrêté et jugé. Alors l’Europe a publié ses faiblesses antérieures. Elle a écouté les sirènes de la « post modernité » qui assuraient que la guerre était devenue obsolète et ne pouvait plus servir les buts de la politique. A quoi bon dans ces conditions maintenir des armées inutilement coûteuses ? A l’inverse elle a aussi écouté les mauvais augures du « devoir d’ingérence » préconisant l’intervention militaire humanitaire sans trop se soucier des capacités militaires réellement disponibles. De ce point de vue l’intervention en Libye réalisée dans l’improvisation laisse ce pays totalement déstabilisé, sans gouvernement avec un immense Sud qui tend à devenir le refuge des jihadistes et un entrepôt d’armes.

On a cherché à créer une Europe de la Défense qui ne soit pas redondante avec l’OTAN. Résultat elle n’existe toujours pas. Les programmes d’armement européens restent peu nombreux. Le transporteur lourd « européen » A 400 M n’est toujours pas disponible au bout de vingt ans depuis sa conception initiale. Les accords de Lancaster House conclus il y a deux ans entre la France et le Royaume-Uni ont bien du mal à s’inscrire dans la réalité de deux pays dont les budgets de défense diminuent fortement.

 Le coût politique de cette absence d’engagement est-il finalement bien plus important que le coût matériel et humain d’un engagement militaire incertain ? Cela va-t-il conduire à notre effacement de la scène internationale ?

Militairement, en dehors de l’OTAN, l’Europe n’a jamais compté, sauf la France en raison de son autonomie nucléaire. L’UE n’a jamais été considérée comme une puissance autre qu’économique et commerciale. La France a rêvé d’une Europe de la Défense qui paraît de plus en plus improbable eu égard à la situation socio-économique.

Comment et à quelles conditions, l’Europe peut-elle peser de nouveau ?

L’UE est entrée dans une phase de latence en raison de la crise économique et financière qui l’ébranle jusque dans ses fondements. Elle doit récupérer. Quand ? Nul ne le sait encore. C’est seulement alors qu’elle pourra définir les éléments de cohérence afin de réorienter complètement sa stratégie à l’égard du monde. D’ici là on ne fera que balbutier. Sans doute pendant longtemps. Mais il y a plus grave : à force de réduire leurs capacités d’intervention extérieure les Etats européens limitent leur périmètre de sécurité. Quand on ne peut plus projeter les forces on voit forcément se raccourcir la profondeur stratégique. Dans le cas de la Syrie c’est absolument évident. Dans le cas du Mali on a pu constater la lenteur du soutien à une intervention française que tout le monde –maintenant qu’elle a réussi- reconnaît aujourd’hui comme indispensable.
Pour peser à nouveau l’UE devra d’abord reconstituer son potentiel économique, retrouver un taux de croissance et résorber son chômage. Et ensuite on verra quels moyens militaires on pourra aligner. Espérons que d’ici là nous n’aurons pas été pris de vitesse par les événements.