A propos des pourparlers de réconciliation entre le Hamas et le Fatah
Depuis que le Mouvement de la résistance islamique (Hamas) a pris le contrôle par la force de la Bande de Gaza en juin 2007, les deux principaux mouvements palestiniens ne sont pas arrivés à se mettre d’accord sur les termes de leur réconciliation. Depuis plus de 5 ans donc, ces discussions échouent et le fossé politique et économique entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza ne cessent de se creuser. Il faut dire que les raisons de l’affrontement entre le Fatah et le Hamas sont profondes et ne peuvent se résumer seulement à la réunification politique de l’Autorité palestinienne.
Il y a effectivement en toile de fond une concurrence politique entre les deux mouvements qui remonte à la fin des années 1970. Le Hamas n’existait pas encore et il s’agissait de tensions entre les mouvements islamistes, et en particulier les Frères musulmans de Palestine, et les groupes affiliés à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). D’autre part, la division Hamas/Fatah concerne la reconnaissance par la Communauté internationale de l’OLP, où le Fatah est majoritaire, comme représentant unique des Palestiniens. C’est d’ailleurs ce que disent les accords d’Oslo, signés en 1993 entre Israël et les Palestiniens, et que le Hamas conteste avec force.
Un des autres principaux sujets de discorde concerne le contrôle des services de sécurité de l’Autorité palestinienne. A partir du moment où le Hamas a intégré le jeu politique, et a remporté les élections législatives de 2006, ce problème s’est effectivement posé avec plus de vigueur. C’est en fait la question de qui dispose du monopole de l’exercice de la violence physique légitime que les Palestiniens doivent résoudre, question qui doit trouver une réponse rapide et définitive si ces-derniers veulent créer des bases saines pour édifier un futur Etat.
Mais ces sujets ne sont pas les seuls à miner la réconciliation des deux mouvements. Sur quelles frontières créer l’Etat palestinien ? Quelle solution pour le statut de Jérusalem ? Comment résoudre la question des réfugiés ? Quelle position adopter face à Israël ? Le Hamas et le Fatah ont effectivement des positions différentes sur ces différentes questions.
Alors dans ce contexte, quelles sont les chances que les pourparlers actuellement en cours en Egypte aboutissent ? Surtout que les accords précédents sont restés lettre morte. Les analystes sont généralement assez pessimistes sur le sujet. Néanmoins, pour la première fois depuis 2007, un accord entre le Hamas et le Fatah est véritablement possible. Non pas que les divisions de fond ont trouvé une solution mais parce que le contexte régional a changé.
Le Hamas, suite aux évènements en Syrie, a décidé d’évacuer sa direction extérieure de Damas mais sans avoir pour autant de solution alternative. Les cadres du mouvement sont donc pour le moment éclatés géographiquement. Certains sont en Jordanie, d’autres en Egypte, Khaled Meshaal, le chef de la direction extérieure et surement de l’ensemble du Hamas, est au Qatar alors que d’autres sont même retournés dans les territoires palestiniens. La crise syrienne a donc poussé le Hamas vers des Etats dont les positions sur le processus de paix israélo-palestinien sont moins fermes que celles adoptées par Damas ou par L’Iran, avec qui les relations sont d’ailleurs particulièrement tièdes.
La visite de Khaled Meshaal à Gaza, au mois de décembre 2012, est intéressante de ce point de vue parce qu’il ne fait aucun doute que les 25 ans du mouvement était une excuse pour que les cadres du mouvement puissent se réunir et aborder tous les sujets concernant le processus de réconciliation inter-palestinien et faire un point sur la situation actuelle du Hamas.
Le Fatah, pour sa part, fait face à un blocage du processus de paix avec Israël, blocage dont les responsabilités sont largement partagées par les deux belligérants. Et si Mahmoud Abbas a décidé de concentrer sa stratégie sur des initiatives politique et diplomatique, il est conscient que non seulement l’opinion palestinienne en Cisjordanie est critique à son égard mais qu’en plus le Hamas gagne du terrain. C’est d’ailleurs le même processus qui se déroule dans la Bande de Gaza où la population reste mitigée à propos de l’action du Hamas.
Par ailleurs, le Fatah assiste avec inquiétude à la percée du Mouvement de la résistance islamique sur la scène politique régionale, comme l’illustre la rencontre entre le roi de Jordanie et Khaled Meshaal, en janvier 2012, alors que les relations entre les deux hommes étaient tendues depuis 1999. Mieux, le mouvement a reçu officiellement, dans la Bande de Gaza, plusieurs pays à l’instar du Qatar en décembre 2012 et du Premier ministre de Malaisie en janvier 2013. La Tunisie a également annoncé une visite officielle dans le territoire côtier pour février 2013.
Ainsi, non seulement le Mouvement de la résistance islamique entretient de bonnes relations avec de nombreux pays de la région mais il est en plus traité comme l’égal du Fatah par ces Etats. Et même si tous affirment soutenir également Mahmoud Abbas (Abdallah II de Jordanie s’est déplacé en Cisjordanie en 2011 et en 2012), ces initiatives placent le Hamas en position de force par rapport au Fatah.
C’est donc dans ce contexte régional particulier que l’Egypte cherche à mener à bien la médiation entre les deux mouvements palestiniens et à obtenir un accord de réconciliation. Le président Morsi possède plusieurs atouts pour atteindre cet objectif. Sa force réside effectivement dans le fait que le Hamas est soucieux d’adopter une position positive à son égard, ayant en perspective la possibilité d’une levée du blocus égyptien de la Bande de Gaza et du gain politique qu’il pourrait tirer d’une telle décision. Le Fatah, de son côté, ne veut pas s’aliéner le nouveau pouvoir en place au Caire. En effet, la chute du président Moubarak a créé une inquiétude quant à la position future des Frères musulmans qui ont clairement annoncé leur volonté de rééquilibrer la diplomatie égyptienne dans le dossier palestinien. Ils considèrent effectivement que la politique menée par le président Moubarak, qui était en froid avec le Hamas, était trop partisane.
Le contexte palestinien a également évolué. Les deux mouvements palestiniens envisagent la perspective d’élections législative et présidentielle avec plus d’espoir quant à leurs résultats. Mahmoud Abbas pense pouvoir profiter des effets positifs engendrés par l’admission de la Palestine comme Etat observateur à l’ONU alors le Hamas est sorti renforcé par la dernière opération israélienne dans la Bande de Gaza. Le Mouvement de la résistance islamique a effectivement su tourner les évènements en sa faveur.
Sans compter que le cessez-le-feu obtenu par l’intermédiaire de l’Egypte n’a pas été similaire au précédent dans le sens où il a été suivi par des négociations indirectes au Caire entre le gouvernement de Benjamin Netanyahou et la direction du Hamas. L’une des conséquences a été un allègement du blocus sur la Bande de Gaza. Ainsi, pour la première fois, des matériaux de construction sont entrés sur le territoire côtier. L’Egypte, le Hamas et Israël cherchent à consolider le cessez-le-feu qui a fait suite à l’opération Pilier de défense et, pour arriver à l’inscrire dans la durée, des compromis ont été fait par Israël et par le Hamas.
Le contexte général est donc favorable à une réconciliation interpalestinienne. Hamas et Fatah ont d’ailleurs annoncé, le 18 janvier 2013, s’être mis d’accord sur l’application des accords de Doha sans provoquer de réaction massive de désaccord dans leur rang. Les deux mouvements se sont donnés jusqu’à la fin du mois de janvier 2013 pour parvenir à la formation d’un gouvernement d’union, préalable à la tenue de nouvelles élections législative et présidentielle. Le Hamas a d’ailleurs accepté que la Commission électorale palestinienne reprenne son travail dans la Bande de Gaza alors qu’il le refusait jusqu’ici. Les deux parties ont également décidé de réactiver les comités travaillant sur le retour de la confiance, et notamment la fin des attaques réciproques dans les médias, et sur la question des prisonniers palestiniens arrêtés en Cisjordanie par le Fatah et à Gaza par le Hamas.
Les pourparlers actuels se déroulent donc sur la base des accords du Caire (avril 2011) et de Doha (février 2012). Or, ces deux documents n’entrent pas dans le fond des divergences entre les deux mouvements. Certes, ils s’attaquent à deux éléments essentiels, le retour de la confiance entre le Hamas et le Fatah et la légitimité politique des deux protagonistes dont les mandats sont arrivés à termes depuis plusieurs mois, mais ils laissent de côté la question de la relation à Israël et celle des services de sécurité.
Et si on ne prend que ce dernier cas, on peut se demander comment Hamas et Fatah vont s’organiser une fois que les élections se seront tenues ? Surtout que, depuis plus de 5 ans, le Hamas a pris des initiatives dans ce domaine dans la Bande de Gaza, tout en restructurant sa propre branche armée, les brigades Ezzedine al-Qassam, alors que Mahmoud Abbas et Salam Fayyed ont porté leurs efforts sur la formation de leur services de sécurité et ont tenté de réguler le port d’armes en Cisjordanie.
Nous comprenons donc que si les discussions actuelles ont lieu dans un contexte plus favorable que les précédentes, ne garantissant pas pour autant qu’elles aboutissent à un résultat tangible, le processus de réconciliation reste à ses débuts. Pour qu’il soit efficace et durable, les Palestiniens ne pourront pas faire l’économie de s’attaquer aux dossiers de fond afin que leur opposition n’entraîne pas à nouveau une division de l’Autorité palestinienne ou, pire, l’éviction par la force d’un acteur au profit d’un autre.