Afghanistan : Cinq raisons de rester, six moyens d’y parvenir…

La France, aux côtés de ses alliés, a renforcé sa présence militaire en Afghanistan. Or loin d’être une simple mission de reconstruction, il s’avère qu’une partie des opérations relève aussi de la guerre de contre-insurrection. Humanitaire contre « guerre sale » ? Finissons-en avec les fantasmes français de guerres coloniales vieilles d’un demi-siècle. Évitons d’employer trop vite des termes démagogiques comme « bourbier ». Considérons la réalité de la contre-insurrection dans ce pays et à ce moment. Elle repose sur un subtil dosage entre actions militaires ponctuelles et engagement en profondeur au cœur de la population, l’ensemble devant être adapté aux exigences de l’âge de l’information.

Gagner en Afghanistan est possible sous réserve de clarifier les raisons de notre présence fondées sur un principe de désengagement au plus tôt car nous n’entendons pas occuper l’Afghanistan. Point n’est besoin de dates contraignantes, exploitables par l’ennemi. L’échelonnement du retrait sera fonction du bien-être croissant de la population lié à la stabilité politique et à la restauration d’une économie satisfaisant les besoins de tous. Demeurer temporairement en Afghanistan se justifie donc par cinq raisons :

- Ne pas abandonner ce pays, ses populations, à l’anarchie, à la loi du plus violent et donner aux Afghans, dans leur diversité, le choix de leurs croyances, de leur mode de vie.
- Ne pas abandonner ce pays aux groupuscules terroristes étrangers qui en font un camp d’entraînement et la zone d’épandage d’une idéologie salafiste violente et sectaire que récusent les Afghans foncièrement attachés à l’islam coutumier qui est le leur.
- Stabiliser une zone centrale pour des enjeux considérables qui comprennent la drogue mais aussi, par proximité, le risque de trafics nucléaires très préoccupants.
- Éviter la propagation de la déstabilisation vers les zones proches du Moyen Orient très instable en raison de la situation irakienne non résolue et de la crise iranienne, elle-même en cours de développement.
- Enfin, maintenir la cohésion des alliés, des partenaires, la crédibilité de l’Alliance et de l’Union européenne qui, par-delà des nuances sont désormais solidaires et qu’un échec affecteraient gravement.

Comment y parvenir ?

D’abord clarifier les objectifs politiques tant pour les opinions publiques occidentales que pour les Afghans eux-mêmes. Éradiquer le terrorisme pour éviter qu’à partir de ses sanctuaires il ne frappe les pays occidentaux n’est pas un argument suffisant quelle qu’en soit la valeur. Il ne peut guère motiver et convaincre les Afghans qui voient la question terroriste sous un angle totalement différent. L’objectif majeur doit être d’aider pendant quelques temps la société civile afghane à se donner des équilibres politiques et économiques, en bonne entente avec ses voisins. La suppression du terrorisme en découlera naturellement.

Ceci suppose en second lieu une manœuvre diplomatique plus innovante et plus hardie que celle pratiquée à ce jour. Sachant qu’aujourd’hui le Pakistan constitue le maillon faible sur lequel il importe de concentrer les efforts, des démarches d’accompagnement seront nécessaires, particulièrement en direction des pays membres de l’Organisation de coopération de Shanghai. Celle-ci regroupe autour de la Chine et de la Russie les pays d’Asie centrale bornant le nord de l’Afghanistan. À cela doit s’ajouter un dialogue de sécurité avec l’Iran comme cela avait été envisagé mi-juin dernier dans le « paquet » proposé à Téhéran. Ce soutien est indispensable notamment pour couper les voies du trafic de drogue.

Troisièmement, « afghaniser » la sécurité du pays en créant des forces entraînées non pas selon les procédés de l’armée américaine ou la doctrine de l’OTAN mais conformément au savoir et à l’expérience des combattants afghans eux-mêmes. Il suffit de fournir les armes et les technologies. Le guerrier afghan saura comment en tirer parti.

Quatrièmement, clarifier les missions de chacun et créer une réelle coordination stratégique unique à la place de trois opérations avec trois mandats différents.

Cinquièmement, mettre l’argent là où il sera efficace. Non point collecter des dons internationaux allant s’évanouir dans les trous noirs d’une économie encore sans fondements. L’argent sera donné sur le terrain à des organismes éprouvés, à des responsables locaux connus, disposés à coopérer en fournissant le renseignement crucial.

Sixièmement, mener des opérations de contreguérilla et de stabilisation adaptées à l’âge informationnel. D’abord, en cessant de minimiser des difficultés devenues évidentes. Ensuite en gagnant la bataille médiatique qu’un ennemi intelligent a engagée en direction de nos opinions mais qu’il est loin de bien connaître. Il commettra des erreurs dans ses messages. A nous de créer une contre-communication efficace tant sur le terrain que dans nos propres pays.

L’Afghanistan constitue une épreuve redoutable pour l’OTAN, pour un monde occidental secoué par la crise et en proie au doute.