Le Hezbollah et les révoltes arabes : une présence sur tous les fronts ?
Les récentes révoltes arabes n’ont pas directement affecté le Liban et l’un de ses principaux partis politiques, qui est aussi une redoutable force militaire : le Hezbollah. Pourtant, ce dernier n’a cessé d’être cité dans les événements de 2011, comme si sa capacité à se démultiplier était presque sans limites. Ainsi, il serait derrière la révolte de la majorité chiite au Bahreïn, et continuerait d’entretenir l’irrédentisme zaydite au Yémen, accroissant ainsi l’isolement du Président Saleh, qui bien qu’issu de cette branche du chiisme, a toujours combattu ses récentes velléités séparatistes. Le mouvement d’Hassan Nasrallah aurait aussi envoyé des hommes combattre contre le colonel Kadhafi (accusé d’avoir assassiné une figure mythique du chiisme libanais, l’Imam Moussa Sadr, d’origine iranienne), ainsi qu’en Syrie, où il assurerait à la fois la protection rapprochée du Président Assad mais aiderait les troupes d’élite du régime à réprimer l’opposition. C’est pourtant donner probablement trop d’importance à cette formation, qui est certes un acteur de plus en plus autonome des relations internationales [1] , mais qui doit d’abord conforter sa position au Liban, aujourd’hui ouvertement contestée par la coalition « pro-occidentale » [2] . On oublie d’abord que la milice chiite ne compte que quelques milliers d’hommes (même s’il est vrai qu’elle peut compter sur de nombreux réservistes mobilisables à tout moment) et qu’elle privilégie avant tout le front intérieur, fragile, d’autant plus qu’elle doit être prête à affronter à tout moment l’ennemi israélien. Ensuite, pour qui connaît un peu l’histoire de la région, certaines accusations semblent plutôt farfelues, puisqu’en Lybie, nul n’ignore que depuis le départ, ce sont des fondamentalistes ou radicaux sunnites qui étaient en première ligne, ce qui rendait peu probable une alliance avec le Hezbollah. Enfin, aucune preuve formelle n’est venue confirmer la présence des forces spéciales du mouvement en Syrie, même si l’hypothèse ne peut être exclue a priori.
Cette importance presque disproportionnée donnée à ce mouvement n’est pas sans rappeler les accusations lancées en octobre dernier à l’encontre de l’Iran et de son supposé projet terroriste visant les Etats-Unis et ses alliés. Le Hezbollah est probablement moins impliqué dans les révoltes arabes que beaucoup ne le pensent d’une part et celles-ci ont en partie ébranlé son omnipotence d’autre part. Si celui-ci n’existait pas, alors il faudrait l’inventer serait-on tenté de dire ! Cette mise à l’index permanente et cette puissance à la fois enviée et fantasmée sont aussi des moyens d’affaiblir Téhéran en montrant que son principal allié est à la manœuvre pour accélérer la déstabilisation des régimes pro-occidentaux ou au contraire aider des Etats pro-iraniens ébranlés. Sa légitimité a été en partie écornée, puisqu’il soutient presque sans réserve Bashar Al Assad (il est aussi soupçonné d’avoir assassiné Rafic Hariri [3] ), et les chaines satellitaires panarabes proches de pays qui lui sont hostile ne manquent pas de relayer cette contradiction, puisque c’est en principe une formation qui lutte contre l’oppression. Cependant, rien ne semble en mesure de lui contester pour l’instant sa prééminence militaire, voire politique [4] , du moins au Liban, et la chute du régime baathiste syrien, concomitamment à l’arrivée de sunnites proches de Washington ou Ryad au pouvoir (qui permettrait de compenser la chute des despotes tunisiens et égyptiens pro-occidentaux) serait certes un coup sévère, mais pas suffisant pour l’éliminer durablement du paysage géopolitique proche-oriental qu’il n’a pas à lui seul la capacité de modifier.
[1] Hervé Pierre, Le Hezbollah, Un acteur incontournable de la scène internationale ? (préface de Bertrand Badie), Paris, L’Harmattan, Collection Chaos International, 2009, 193 pages. A compléter par deux ouvrages didactiques : J.-L. Samaan, Les métamorphoses du Hezbollah (préface de François Géré), Paris, Karthala, 2007 ; W. Charara, F. Domont, Le Hezbollah : un mouvement islamo-nationaliste, Paris, Fayard, 2004.
[2] Puisque celle-ci compte des islamistes notoires, proches des milieux salafistes et wahhabites, en particulier les députés du Liban-Nord (affiliés au Courant du futur de Saad Hariri), Mouïn Meerabi et Khaled Daher, alliés dans cette région aux Forces Libanaises du chrétien Samir Geagea !
[3] Là aussi des preuves irréfutables manquent et il sera difficile d’établir toute la vérité puisque les suspects, proches du Hezbollah n’ont pu être trouvés à ce jour. « Le parti de Dieu » considère de toute façon que le TSL (Tribunal spécial pour le Liban) en charge du dossier est politisé, partial et aux ordres des occidentaux. Il a fait néanmoins preuve de pragmatisme en ne s’opposant pas récemment à son financement par le pays du Cèdre (ce n’était pas sa position initiale ), ce qui aurait abouti à des représailles économiques sur ce dernier.
[4] Il contrôle avec ses alliés les principaux leviers du pouvoir depuis début 2011, puisque le sunnite centriste et modéré Nagib Mikati a accepté de devenir chef du gouvernement afin contribuer à stabiliser le pays, refusant la stratégie de confrontation directe prônée par Saad Hariri.