Leçons géorgiennes : le retour de la real politik
Non ce n’est pas le retour de la guerre froide. Pour trois raisons majeures : la fin de l’idéologie communisme que MM. Poutine et Medvedev n’entendent certes pas ressusciter. Libéraux autoritaires, ils ne sont porteurs d’aucun projet internationaliste. Au contraire seule les motive une volonté d’action au service de l’intérêt national russe. Ensuite parce que la bipolarisation des années 49-89 ne peut plus se reproduire à l’identique. Quand bien même Etats-Unis et Russie rassembleraient-ils des alliés, des clients, l’émergence des grandes puissances comme l’Inde et la Chine –laquelle en a fini de facto avec l’idéologie communiste- interdit cette division manichéenne du monde. Troisième raison : les armes nucléaires ne jouent plus le même rôle qu’auparavant. Ni à Washington, ni à Moscou on n’entend recibler des milliers de têtes nucléaires contre le territoire de l’autre. De ce point de vue, les déclarations d’une parfaite mauvaise foi sur la défense antimissiles favorisent la confusion. Dix intercepteurs en Pologne, un radar en Tchéquie ne posent aucune « menace » sur les formidables capacités balistico-nucléaires stratégiques de la Russie. Prétendre utiliser ces deux bases pour contrer une menace iranienne peut se comprendre si l’on admet que l’Iran cherche à viser l’Europe et, au-delà, les Etats-Unis. Compte tenu des piètres capacités iraniennes, démontrées par les essais du Shahab 3, voilà qui renvoie à longtemps, à supposer que l’Iran trouve jamais un intérêt à disposer de moyens dépassant sa zone stratégique, le Golfe persique et ses alentours. En revanche, il est exact que le positionnement des moyens de détection avancée, de commandement et de communication liés à la défense antimissile constitue un enjeu dans le nouveau rapport de force qui ne va pas cesser de se développer dans les mois et années à venir. Les sites anti-missiles ne sont rien d’autres que le marquage politique d’une sphère d’influence conforme à la logique actuelle qui réorganise le monde. Les armes nucléaires et la défense antimissiles constituent des outils de politique étrangère comme l’avaient suggéré précocement de Gaulle et Kissinger, avant le déchainement de l’ubris technologique et industrielle de la course aux armements.
Si donc nous ne sommes pas les spectateurs de « guerre froide 2, le retour » à quoi assistons nous ? Au risque de décevoir l’esprit de modernité, je serai tenté de dire au retour à la normale, à l’état naturel –au sens hobbesien du terme- du jeu des équilibres entre potentiels d’influence. Chaque Etat est un loup pour l’Etat adverse. Ceci vaut pour les alliés que l’on cherche à attirer dans sa sphère d’influence, infiniment plus flexible que dans le monde simple du rideau de fer. Allié d’aujourd’hui, ennemi de demain. La duperie diplomatique et la surprise stratégique seront de plus en plus souvent au rendez-vous. Et chacun de jouer ses atouts : force militaire, ressources énergétiques, puissance financière…. Tout est bon pour faire pression, plier et soumettre. L’influence des armes redevient un élément majeur dans les relations internationales dont tous les Etats, organisations et alliances existantes vont devoir tenir compte.
Les Européens risquent fort d’être un peu plus déphasés prenant leur désir d’un monde « post-moderne », pour une réalité qui n’existe pas et leur discours pour une influence qui ne peut s’exercer. Non pas que l’UE soit démunie de moyens mais elle s’avère incapable d’en user au service d’une volonté de puissance, contrairement à tous ses autres concurrents, vite baptisés « partenaires stratégiques ».
L’OTAN révèle avec sa fragmentation croissante, l’essoufflement lié à l’élargissement, le flou persistant sur les missions et enfin avec l’excessif étirement de son action (jusqu’en Afghanistan !), l’inadéquation des forces disponibles. M. Poutine a envoyé vers Bruxelles le plus dur des messages : en Géorgie la Russie peut tout, l’OTAN n’est rien ! A bon entendeur…..
L’ONU et d’autres institutions internationales comme l’OSCE, au moment où elles espéreraient s’affirmer grâce à des organes comme l’AIEA pour la prolifération nucléaire et le TPI pour les crimes de guerre sont contrées par les égoïsmes nationaux. Le conseil de sécurité risque de ne plus pouvoir fonctionner. Comme au temps de la guerre froide ! - dira-t-on. Hé bien non car, là encore, cette évolution s’effectue dans un environnement mondialisé faisant intervenir beaucoup plus d’acteurs qu’auparavant, favorisant des interrelations plus enchevêtrées. La diversité des enjeux énergétiques, territoriaux, financiers, informationnels devient comparable aux organigrammes arborescents des filiales de ces holdings dont la complexité a fini par brouiller avec le processus de décision, la puissance d’action.
Situation lourde de conséquences pour les pays qui depuis la chute du mur de Berlin (vingt ans bientôt !), recherchent des assurances de sécurité, (Pologne, Tchéquie, Etats baltes) soit encore pour ceux qui comme les « neutres », la Suède et la Finlande, s’interrogent sur la réorientation de leur diplomatie. Dès lors que la fiabilité des alliances diminue, que s’affirme le retour d’un réalisme fondé sur la pression dure et non plus l’influence douce, le temps des réexamens déchirants s’annonce.