Le terrorisme prend la mer

Terrorisme

Retour sur l’article du Foreign Affairs de Novembre/Décembre 2004 rédigé par Anne KORIN et Gal LUF.

Le nombre d’attaques pirates sur des bateaux a triplé durant la décennie passée, mettant la piraterie à son plus haut niveau au cours de l’histoire moderne. Et contrairement aux stéréotypes, les pirates d’aujourd’hui sont souvent des combattants entraînés, à bord de bateaux puissants, équipés de téléphone satellites, du GPS et pourvus d’armes automatiques, de missiles anti-chars et de grenades.
Plus étonnant encore, les fléaux de la piraterie et du terrorisme se superposent de manière croissante : la piraterie en haute mer devient une tactique-clé des groupes terroristes. Beaucoup des pirates d’aujourd’hui sont des terroristes maritimes avec une idéologie flexible et au service de causes politiques variées. Ce lien entre la piraterie et le terrorisme est surtout dangereux pour les marchés de l’énergie : la plus grande partie du pétrole et du gaz mondial est transportée par bateaux à travers les mers les plus infestées de pirates.

Du fait de la non déclaration des actes de piraterie dont sont victimes de nombreuses compagnies maritimes - par peur de voir augmenter le prix de leur police d’assurance, ou de déclencher des enquêtes très longues - l’étendue du phénomène de la piraterie est inconnue. Pourtant, les statistiques publiées par le Bureau Maritime International (BMI) suggèrent qu’à la fois la fréquence et la violence des actes de piraterie ont augmenté au cours des dernières années [1].
Les pirates et les groupes islamistes ont longtemps opérés dans les mêmes zones, incluant la Mer Arabe, le sud de la Mer de Chine, et dans les eaux hors des côtes d’Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, face aux efforts internationaux massifs visant à geler leurs financements, les groupes terroristes ont commencé à envisager la piraterie comme une source importante de financement. Cet attrait est particulièrement apparent dans le détroit de Malacca, ce couloir de 800 kilomètres qui sépare l’Indonésie de la Malaisie, où 42% des attaques pirates ont eu lieu en 2003.
Les groupes terroristes comme le Hezbollah, la Jamaah Islamiyah, le Front Populaire de Libération de la Palestine - Commandement Général, et les Tigres Tamoules du Sri Lanka ont longtemps cherché à développer une capacité navale. Les services de renseignements estiment qu’Al-Qaïda et les groupes qui s’en réclament possèderaient une douzaine de bateau fantômes - des vaisseaux détournés qui ont été repeints, renommés, dont les papiers sont falsifiés, dirigés par un équipage doté de faux passeports et de certificats de compétences falsifiés.
Les experts de la sécurité ont depuis longtemps prévenus que les terroristes essaieraient d’utiliser un bateau chargé d’explosifs, peut-être même d’armes de destructions massives, pour le faire exploser dans un port ou un terminal. Une telle attaque stopperait le commerce international, infligeant des dommages de plusieurs milliards de dollars à l’économie internationale.

L’un des moyens les plus efficaces pour les terroristes de troubler l’économie globale est bien d’attaquer les sources d’approvisionnement en pétrole - c’est-à-dire dans les termes utilisés par les porte-parole d’Al-Qaïda, « la ligne de provision et l’artère de vie de la nation croisée ». Alors que les cibles terrestres sont relativement bien protégées, le très étendue cordon ombilical de l’énergie qui relie les économies de l’Ouest et de l’Asie avec le Moyen-Orient est plus vulnérable que jamais. 60% du pétrole mondial est transporté par bateaux par approximativement 4000 lents et encombrants tankers. Ces vaisseaux ont de faible protection, et quand ils sont attaqués, n’ont nulle part où se cacher [2].
Si un seul tanker était attaqué en haute mer, l’impact sur le marché de l’énergie serait marginal. En revanche, si les terroristes détournaient un gros porteur, ou un pétrolier, le manœuvrait vers une zone d’étranglement et le sabordait de manière à bloquer le passage, les conséquences sur l’économie internationale seraient sévères : et pires encore seraient-elles si de telles attaques étaient mener de manière simultanée dans différents endroits du monde [3].

Finalement, seul un bateau peut garantir sa propre sécurité. Les forces maritimes de sécurité ne peuvent pas être présentes partout en même temps (et dans certains pays ces forces de sécurité constituent elles-mêmes le problème). Les vaisseaux doivent faire face à deux types d’attaques : l’utilisation de bateau-suicides et le détournement. Il est très difficile de se défendre dans le premier cas. Il est plus facile d’empêcher le second.

Un instrument opérationnel de coopération est le Regional Maritime Security Initiative (RMSI) qui est en cours de discussion parmi les nations d’Asie. Cette initiative vise à combattre les menaces transnationales de la piraterie maritime et le terrorisme dans les détroit de Malacca et de Singapour en introduisant des exercices navals communs ainsi que des mécanismes de partage d’informations et de coopération dans les opérations visant à faire appliquer la loi. Un objectif supplémentaire pour le RMSI serait de contrôler, d’identifier et d’intercepter les vaisseaux suspects dans les eaux nationales et internationales.

Le plus important, alors que les sources d’approvisionnement de l’énergie mondiale sont très susceptibles de demeurer des cibles pour les terroristes, c’est que le risque doit être réduit non seulement par l’amélioration de la sécurité des voies de passage océaniques, mais aussi en regardant vers soi : en remplaçant les énergies importées par les énergies de nouvelles générations dérivées des sources d’énergies nationales. Un tel changement augmenterait l’indépendance énergétique pour le monde libre et réduirait le besoin de transport de pétrole à travers le globe tout en réduisant la vulnérabilité du monde à une interruption catastrophique de son pourvoi en énergie par les terroristes marins.


Article complet ici.

[1De 2002 à 2003, le nombre de personnes tuées et prises en otage dans des attaques a doublé/ Le montant total de dommages causés par la piraterie - dues à la perte de bateaux et de cargos et à l’augmentation du prix des polices d’assurance - s’élève à 16 millions de dollars par an

[2Excepté sur les bateaux russes et israéliens, les seules armes dont sont dotés les membres d’équipage pour parer une attaque sont des lances anti-incendies et des spots de lumières

[3Le détroit d’Hormuz, qui relie le Golfe Persique et la Mer Arabe est large de seulement 2,5 kilomètres en ces points les plus étroits. Presque 15 millions de barils de pétrole passent par cet endroit chaque jour ; Bab el Mandeb, l’entrée de la Mer Rouge et le passage pour plus de 3,3 millions de barils par jour est lui aussi large de seulement 2,5 kilomètres en ses endroits les plus étroits ; le détroit du Bosphore quant à lui, reliant la Mer Noire à la Mer méditerranée est large de moins d’1,5 kilomètres à certains endroits. Approximativement, la moitié des attaques de piraterie ont lieu en Asie du Sud Est, principalement dans les eaux indonésiennes