Corée du Nord : l’essai du 6 janvier 2016 et le nucléaire nord-coréen

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Ce 6 janvier 2016, les sismographes pointés sur la Corée du Nord enregistrent une secousse brutale de 5,2 sur l’échelle de Richter. Il n’y a pas de doute, il s’agit bien d’une déflagration nucléaire souterraine.

Sa puissance serait de fait équivalente à celle du 12 février 2013. Il s’agissait il y a trois ans d’une charge de 6 kilotonnes environ, puisque les enregistreurs avaient détecté une secousse équivalente. Elle est localisée en Corée du Nord à Puggye-Rie, le site d’essai nucléaire au nord-est de la péninsule. Cette explosion – souterraine – confirme bien la volonté du régime totalitaire de Pyongyang de se placer hors de la communauté internationale. En effet, il s’agit d’un geste que l’on peut qualifier d’agressif au regard du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), traité ouvert à signature depuis 1996. Rejoint par tous les Etats (même Israël et l’Iran), le TICE a quasi valeur universel. Toutefois, l’Inde et le Pakistan ne l’ont pas rejoint, mais appliquent son principe puisqu’ils n’ont procédé à aucun essai depuis leur campagne d’essais de 1998.

Ce nouveau tir nord-coréen va donc entretenir un climat durable de tensions dans la région pour de longues années avec les pays voisins, Corée du Sud et Japon en premières lignes, eux-mêmes soutenus par Washington. Dans ce registre local, la parade militaire du 10 octobre 2015 à Pyongyang avait mis en avant, ostensiblement, des missiles balistiques mobiles type Musudan, ceux-ci pouvant bien évidement porter une charge nucléaire, lit-on dans les médias. Le 17 octobre, l’AFP avait annoncé le rejet du régime de Kim Jung-Un, leader du régime, d’accepter de dialoguer sur son programme nucléaire, tout en menaçant d’un renforcement « sans limites de la dissuasion nucléaire ». Ce nouvel essai constitue donc le second essai nucléaire probant de la Corée du Nord, des doutes sérieux subsistant, selon les positions officielles françaises, sur les tentatives de 2006 et de 2009.

La bombe H : un défi scientifique

L’essai du 6 janvier, au regard des données recueillies ne peut absolument pas caractériser une charge thermonucléaire, une bombe H, comme le prétend la propagande du Pyongyang. Plusieurs éléments confirment cette hypothèse.

Une bombe H aurait développé une puissance bien supérieure, au moins dix fois ce qui a été relevé. Ensuite, l’arme thermonucléaire représente un seuil technologique qui semble encore difficilement accessible à ce petit pays. Le principe général de la bombe H est largement diffusé sur Internet. Il n’en reste pas moins que sa conception a nécessité des efforts de recherche et de conception très importants de la part des cinq grands nucléaires du conseil de sécurité de l’ONU (ceux avec droit de vétos). Les Etats-Unis ont atteint ce niveau en sept années, grâce aux recherches d’Edward Teller. L’essai est effectué le 1er novembre 1952 au centre du Pacifique à Enewetak délivrant une puissance de 10,4 mégatonnes. La Russie soviétique y parvient en quatre ans (1953) : des travaux, il est vrai, sous la direction d’Andreï Sakharov. Les Britanniques réussissent en cinq ans en 1957 et la Chine en trois ans (1967). Quant à la France, ce fut plus laborieux que pour la bombe A. Il a fallu huit ans après la première explosion nucléaire française de février 1960 pour que les Français [1]] parviennent à maîtriser la technologie si sophistiquée de la fusion thermonucléaire, plusieurs mois après la Chine ! Pour autant, il n’est pas exclu que les scientifiques nord-coréens aient tenté d’obtenir un processus de fusion en ajoutant un étage thermonucléaire à la charge à fission servant d’amorce similaire à celui de février 2013. S’il y a eu étage thermonucléaire sur la charge nord-coréenne, il ne s’est pas déclenché, et rien n’exclut que les scientifiques de Kim Jung-Un n’aient pas cherché à explorer cette voie.

Pyongyang et la politique du fait accompli

Reste l’impact diplomatique. L’essai a reçu la réprobation unanime et immédiate de la communauté internationale. Pour le Quai d’Orsay, il y a violation des résolutions 1718, 1874, et 2094 de l’ONU. De son côté, Shinzo Abe, premier ministre du Japon, a qualifié l’essai de « grave menace pour la sécurité » de son pays. Pour Washington, l’objectif est donc de freiner les velléités de ses deux alliés dans la région, la Corée du Sud et le Japon de franchir le seuil nucléaire, ces deux pays disposant d’un capital technologique et industriel suffisant pour y parvenir. C’est ce qui explique la mission du bombardier B-52 de l’US Air Force venu de l’île de Guam dès le 9 janvier pour un vol dans le ciel de la Corée du Sud, dit-ont à 70 km de la frontière, la DMZ qui sépare les deux pays. C’est le sens de la déclaration de l’amiral Harry N. Harris Jr, commandant des forces américaines du Pacifique. Il rappelle que cette démonstration traduit l’engagement des Etats-Unis à assurer la défense de la Corée du Sud et du Japon, les forces armées américaines travaillant à la stabilité et la sécurité de la région avec ses alliés et partenaires. A noter aussi la condamnation de l’Afrique du Sud, seul pays à avoir démantelé – unilatéralement – son programme nucléaire militaire suite à la fin de l’Apartheid, ceci par la voix de Nelson Kgwete, porte-parole du Département des relations internationales et de la Coopération.

Le risque de prolifération ne sera maîtrisé qu’à la condition que les travaux démontrés ce 8 janvier restent confinés au territoire exigüe et enclavé de la Corée du Nord ! Bref, l’essai nord-coréen vient neutraliser à sa manière les progrès en matière de lutte contre la prolifération suite à l’accord sur le nucléaire iranien du 14 juillet 2015 (accord entrée en vigueur ce 16 janvier 2016).

Des sanctions additionnelles seront sans grands effets sur un régime stalinien, étanche aux influences extérieures. Pyongyang dispose d’une marge plus large pour s’imposer dans l’environnement tendu de l’extrême Orient. S’il n’y a pas convergence entre les diplomaties de la région, tous s’accordent sur un objectif de démantèlement du programme nucléaire militaire de Kim Jung-Un. Un espoir désormais repoussé à un horizon indéfini. Optant pour un statu quo sur la péninsule, la Chine pousse toujours ses intérêts dans les espaces océaniques. Corée du Sud et Japon ont encore un lourd contentieux historique, alors que Washington et Moscou exploitent les situations de crises pour défendre des postures de puissance. Dans un monde traversé plus encore par les rapports de force, l’essai nord-coréen va davantage justifier les programmes d’armements stratégiques offensifs comme défensifs, notamment les dispositifs antimissiles venus des Etats-Unis. L’essai du 6 janvier 2016 nous éloigne plus encore, inéluctablement, des objectifs de désarmement nucléaire pourtant fixés par l’article 6 du Traité de prolifération nucléaire, un traité dont le régime de Pyongyang s’était retiré unilatéralement en 2003.

Philippe Wodka-Gallien est auteur de : Essai nucléaire, la force de frappe française au XXIè siècle. Défis, ambition et stratégie, Editions Lavauzelle, ouvrage qui a reçu le prix Vauban de l’IHEDN 2015.

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Le principe de la bombe H

La bombe H, également désignée bombe à hydrogène, ou bombe thermonucléaire, repose sur le principe de la fusion de deux atomes d’hydrogènes lourds : le deutérium 2H et le tritium 3H. Mais, une température de plusieurs millions de degrés est nécessaire pour obtenir le phénomène de fusion. Il est donc nécessaire de déclencher une première explosion atomique obtenue par une bombe A (une bombe à fission) qui va servir d’amorce pour obtenir la température requise. Une bombe H se présente donc comme une arme à deux étages. Le CEA a énoncé le principe d’une bombe H en ces termes : « l’énergie de fission est transmise à la partie dite thermonucléaire, pour induire des réactions de fusion entre du deutérium et du tritium, deux isotopes de l’hydrogène. Les températures atteignent alors quelque 100 millions de degrés ». L’explosion se produit en 600 nanosecondes : la fission demande 550 ns, 50 étant nécessaire pour la fusion. PWG.

La Corée du Nord, qui poursuit son programme de développement nucléaire militaire en dépit des rappels à l’ordre de la communauté internationale, a affirmé mercredi avoir réussi son premier essai de bombe à hydrogène ou thermonucléaire. Une annonce qui a immédiatement suscité la réprobation générale, mais qui pourtant reste mise en doute. Examinons tout de même la nature de cette arme, plus communément nommée bombe H par opposition à la bombe A, du type de celle larguée par les Américains sur la ville japonaise d’Hiroshima en 1945. Quelle physique se cache derrière ces deux appellations ?

En réalité, bombe A et bombe H reposent sur deux réactions nucléaires bien distinctes. La première est basée sur la réaction de fission par laquelle le noyau d’un atome d’un élément lourd (entendu comme possédant un nombre élevé de protons) se scinde en deux noyaux plus légers en dégageant une intense énergie. C’est le principe qu’utilisent les réacteurs des centrales nucléaires actuelles.

Une bombe A pour déclencher une bombe H

Quant à la bombe H, elle exploite au contraire la réaction de fusion nucléaire dans laquelle deux atomes d’hydrogène de deux types, le deutérium et le tritium (dont la seule différence réside dans le nombre de neutrons contenu dans leur noyau), fusionnent pour créer un élément plus lourd, avec un dégagement d’énergie encore beaucoup plus intense, environ multiplié par 10. C’est le phénomène qui se produit dans le cœur des étoiles comme notre Soleil et que les nouvelles générations de centrales nucléaires comme le réacteur expérimental français Iter basé à Cadarache tentent encore de domestiquer. Autrement dit, la bombe H est encore bien plus dévastatrice que la bombe A !

Ainsi la plus puissante bombe à hydrogène testée jusqu’ici, lors de l’essai soviétique Tsar Bomba, le 30 octobre 1961, au-dessus de l’Arctique, est réputée avoir été 4 000 fois plus puissante que la bombe A d’Hiroshima. Mais, comme vous l’avez sans doute déjà compris, la fusion nucléaire est nettement plus difficile à réaliser que la fission. Car, pour rapprocher suffisamment les atomes d’hydrogène afin d’engager leur fusion, elle nécessite de porter la matière à très haute température – environ 100 millions de degrés –, sous une très forte pression. Or on n’a rien trouvé de mieux jusqu’ici pour y parvenir que de munir la bombe H d’une bombe A jouant le rôle de déclencheur. Ainsi tester la première nécessite-t-il d’avoir déjà une très bonne maîtrise de la seconde. On comprend ainsi toute la portée de cette affirmation de la Corée du Nord. Ph. W.-G.

[1[L’essai Canopus réalisé le 24 août 1968 sur l’atoll de Fangataufa au Centre d’Essais du Pacifique, marque la maîtrise par la France de la technologie thermonucléaire. La première bombe H française, avait dégagé une puissance de 2,6 Mégatonnes, soit environ 200 fois la puissance d’Hiroshima. La charge avait été fixée sous un ballon.