Iran nucléaire : une prolifération stabilisatrice favorable à la sécurité internationale ?

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L’accord de Vienne du 14 juillet 2015 venant compléter les dispositions du protocole additionnel du traité de non-prolifération, bride ou empêche, pour des durées allant de 10 à 15 ans un certain nombre d’activités nucléaires iraniennes. Sont ainsi limités l’enrichissement d’uranium, la quantité d’uranium enrichi détenu ou encore le nombre de centrifugeuses. Téhéran est contraint de transformer l’installation de la centrale à eau lourde d’Arak de sorte qu’elle ne puisse pas produire de plutonium de qualité militaire. Il lui est aussi interdit de construire d’autres réacteurs à eau lourde. L’Iran pourra être soumis à des inspections poussées pour une période allant jusqu’à 25 ans.

Le contexte d’adoption de l’accord ainsi que sa nature viennent confirmer une fois du plus que les Etats capables de tenir bon face aux pressions de la communauté internationale et en particulier face aux Etats-Unis (qui bien que n’ayant pas été le seul Etat impliqué dans les négociations demeurent la nation du fait de laquelle la balance change d’inclinaison) finissent par sortir vainqueur (comme ce fut le cas pour l’accession de la République Populaire de Chine à la communauté internationale puis à la puissance), sous réserve de disposer d’un minimum de ressources stratégiques et d’une fenêtre favorable dans le cours des relations internationales.

L’Iran a acquis une capacité nucléaire militaire potentielle faisant de lui un Etat du seuil, et lui permettant d’accéder à terme à une possible dissuasion virtuelle à travers l’amélioration future de ses connaissances en matière nucléaire (réduction de taille, robustesse…) ainsi qu’en matière de vecteurs missiliers (précision, capacité de pénétration, robustesse…) et de lanceurs spatiaux (convertibilité d’une technologie duale).

Par la conclusion de cet accord, Téhéran a su gagner une fois encore du temps, comme sa diplomatie sait si bien le faire, pour développer son statut de puissance nucléaire virtuelle (les savoir-faire sont acquis) ainsi que ses ambitions probables de puissance géopolitique régionale (en concurrence avec l’Arabie Saoudite, la Turquie, Israël voire l’Egypte). L’Iran s’est aussi par-là assuré de ne jamais vivre le sort subi par l’Irak en 2003 en se dotant de ce qui est pour l’instant une capacité d’interdiction et qui deviendra peut-être, à terme, une force de dissuasion.

Le message envoyé aux autres Etats candidats à l’accession au seuil nucléaire est donc celui de l’entêtement qui finit par être couronné de succès. Le système international pourrait donc connaître, dans les prochaines décennies, une multiplication des Etats du seuil.
De telles ambitions nucléaires parmi d’autres Etats du Moyen-Orient voisins de l’Iran pourraient aboutir à la naissance d’un régime de sécurité dans la région, voire à terme d’un régime de dissuasion.
Hors du Moyen-Orient, l’apparition de tels projets pourrait cependant être traitée différemment par les puissances, en fonction des implications et des contextes géostratégiques régionaux. En effet, d’autres régions du monde connaissent une configuration géostratégique moins complexe et moins instable qu’au Moyen-Orient (moindre degré d’intrication stratégique entre les acteurs, absence d’énergies fossiles en grande quantité suscitant la convoitise, absence d’une déstabilisation récente de la région ayant rendu le terrain particulièrement belligène et exposé aux guerres en chaînes…)
Dans ces régions, d’éventuels candidats à la prolifération se montrant trop opiniâtres pourraient faire l’objet de frappes militaires décapitant leurs programmes.

Par ailleurs, une multiplication des Etats du seuil ne serait pas en soi une nouveauté puisque de nombreux Etats ont acquis cette capacité ou s’en sont grandement approchés durant la Guerre froide. Ce qui serait nouveau, en revanche, c’est la multiplication d’une telle capacité parmi des Etats n’appartenant pas à l’ensemble occidental ou n’étant pas sous son contrôle ou son influence stratégique.

Enfin, si l’on considère que la prolifération est stabilisatrice, on pourrait presque en venir à penser que c’est l’accession de l’Iran à un statut de puissance du seuil qui est un succès pour la sécurité internationale davantage encore que la conclusion de l’accord de juillet 2015.


Alexis Baconnet est chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chercheur associé au Centre lyonnais d’études de sécurité internationale et de défense (CLESID), EA 4586 Francophonie, mondialisation et relations internationales, université de Jean Moulin Lyon 3.