Doctrine de dissuasion de la République islamique

La présidence de George W. Bush est arrivée à son terme et malgré d’incessantes suppositions des médias et des politiques aucune attaque militaire contre l’Iran n’a été menée. Le gouvernement Bush laisse place à une administration qui pour le moment privilégie l’option politique consistant à des pourparlers avec l’Iran. Mais dans cette nouvelle stratégie de Washington contre l’Iran, se pose une question cruciale : si l’Administration américaine actuelle échoue dans ses pourparlers la république islamique, est-il logique de considérer à nouveau l’option militaire ?

Par Hossein Bastani*

La présidence de George W. Bush est arrivée à son terme et malgré d’incessantes suppositions des médias et des politiques aucune attaque militaire contre l’Iran n’a été menée. Le gouvernement Bush laisse place à une administration qui pour le moment privilégie l’option politique consistant à des pourparlers avec l’Iran. Mais dans cette nouvelle stratégie de Washington contre l’Iran, se pose une question cruciale : si l’Administration américaine actuelle échoue dans ses pourparlers la république islamique, est-il logique de considérer à nouveau l’option militaire ?

Autrement dit, l’idée d’une attaque militaire sur l’Iran est-elle tout simplement envisageable ou réaliste ?

Pour répondre à cette question, il nous suffit de nous pencher sur la doctrine de dissuasion de la République islamique, comme sa contre-mesure à une telle possibilité. En dehors de certains de ses aspects de propagande et de pur idéalisme, cette doctrine contient cependant quelques dimensions opérationnelles et réalistes. Nous nous pencherons ici en détails sur ses éléments, ainsi qu’ils sont apparus au sein de différentes publications des cercles durs proches de l’IRGC (la Garde Révolutionnaire de la République Islamique).

A première vue, il apparaît que la doctrine de force de dissuasion de l’Iran contre des menaces militaires extra territoriales est basée sur quatre principes :

absence de confiance vis-à-vis des institutions internationales ;

force de dissuasion à l’extérieur de l’Iran ;

prise de risques maximum sous les pires conditions ;

préparatifs intensifs à l’intérieur du pays.


1) Méfiance absolue vis-à-vis des institutions internationales.

Considérer les organisations internationales comme « les instruments d’hégémonie par des grandes puissances » n’est pas nouveau, cela fait trois décennies que cette idée est entendue dans les milieux officiels iraniens. Ce que l’on connaît en Iran comme « l’expérience iraquienne » a concouru à instaurer une méfiance absolue des stratèges militaires iraniens, vis-à-vis des institutions internationales – tout particulièrement dans les secteurs de la Défense et la Sécurité. Selon ces stratèges, le régime de Saddam Hussein a coopéré avec l’organisation internationale (ONU) chargée de contrôler la production et la maintenance d’armes conventionnelles et non-conventionnelles pendant une décennie, alors même que ces institutions s’engageaient soigneusement et constamment dans la neutralisation de la machine militaire iraquienne. Finalement, quand ces institutions eurent entièrement neutralisé les capacités défensives et offensives de l’Iraq et que le pays n’a plus joui d’aucun moyen efficace de se protéger, l’administration de Bush a soudain attaqué l’Iraq sous le prétexte fallacieux qu’il possédait des armes de destruction massive. Après quelques années, « les occupants » ont reconnu que de telles armes n’avaient pas existé en Irak, mais cela n’a fait aucune différence, le régime de Saddam ayant été renversé.

Les Néoconservateurs proches de l’administration d’Ahmadinejad croient que le bilan de la coopération de l’Iran avec des organisations internationales - notamment avec de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) - sera semblable à celui de l’Iraq, et qu’il serait donc bénéfique pour l’Iran de développer sa capacité de dissuasion plutôt que de dépendre de la communauté internationale.

2) Force de dissuasion à l’extérieur de l’Iran.

Selon des stratèges militaires iraniens, un autre aspect important dans la droite lignée de « l’expérience iraquienne » est la vaine stratégie militaire de Saddam Hussein contre un ennemi supérieur. Ils soulignent que la stratégie iraquienne contre les Etats Unis a été basée sur l’action à l’intérieur du pays alors qu’il ne faisait aucun doute qu’à l’intérieur de l’Iraq, l’armée iraquienne n’avait d’autre choix que de prendre une position défensive contre une force plus solidement armée. Le résultat d’une telle bataille ne faisait aucun doute, dès le premier jour. Pour ne pas vivre pareille situation, des officiels militaires iraniens ont donc répété que si les Etats-Unis devaient attaquer l’Iran, il incomberait à la République islamique de déterminer elle même le théâtre des opérations.

La signification de cette menace était qu’en cas d’attaque américaine, les forces iraniennes se battraient non seulement à l’intérieur du pays, mais aussi en Irak, en Afghanistan, au Liban, en Palestine, dans les pays du Golfe Persique (certains d’entre eux abritant des bases militaires américaines) et même dans d’autres contrées. La tendance dure iranienne croit en la présence potentielle d’otages américains en leurs mains, qui seraient susceptibles d’être échangés en cas d’attaque américaine. Ces « otages » se composeraient de troupes américaines en Iraq, en Afghanistan, dans le Golfe Persique et bien sûr en Israël. S’attaquer à ces otages représenterait si l’on peut dire « la botte secrète » de l’Iran et de ses forces de sécurité, en plus de son potentiel et de ses alliés actifs dans la région et au-delà.

Certains de ces alliés (en Iraq et au Liban, par exemple) ont déjà mené des actions contre les ennemis de la République islamique. Mais il existe d’autres forces qui ne sont peut-être pas Chi’ites et qui ne se sont aujourd’hui pas encore engagées dans des actions en faveur de l’Iran, mais qui entreraient en action en cas de conflit militaire entre les Etats-Unis et Israël contre un pays musulman.

Les remarques les plus choquantes d’officiels iraniens, même si elles furent prononcées dans un contexte volontairement provoquant (les menaces répétées d’Ahmadinejad contre Israël, la négation de l’Holocauste, etc.) devraient être déchiffrées sous cet angle. Alors que de telles remarques génèrent à l’Ouest haine et ressentiment, il faut noter qu’elles sont accueillies favorablement par des millions de Musulmans qui détestent Israël, qu’ils vivent au Moyen-Orient, mais aussi dans des pays Occidentaux.

Ce sont en majorité les peuples déçus par la faiblesse des leaders des états Musulmans face à l’Ouest, sans prétention aucune, alors qu’ils considèrent Ahmadinejad - dont ils interprètent les actions comme autant d’actes de résistance contre les Etats-Unis et Israël - comme le seul « homme véritable » du monde Islamique. Ces gens ne seraient pas bien sûr des « alliés opérationnels » de Téhéran en cas de conflit contre les Etats Unis, mais en temps de crise militaire, une petite proportion pourrait fournir plus qu’un appui verbal auprès de la République islamique de l’Iran.


3) Empressement à accepter un risque maximum dans les pires conditions.

La République islamique iranienne souhaite ne jamais être attaquée militairement. Mais s’il s’avère que l’intention de renverser le régime Islamique existe bel et bien, la ligne dure de Téhéran se sent prête à payer le prix fort pour infliger un maximum de dégâts chez l’ennemi. Les officiels iraniens se plaisent à répéter la différence entre leurs forces et les forces Occidentales : les premières sont prêtes au martyre, car il est clair que les combattants iraniens, à l’inverse des occidentaux, sont prêts au « sacrifice ultime ». Mais comme de toute évidence, un éventuel conflit entre l’Iran et les Etats-Unis ne prendrait pas la forme d’un affrontement conventionnel « face à face » entre deux armées, on peut conclure que cette possibilité ne devrait pas être vérifiée dans les faits (à moins que l’on ne parle d’activités terroristes). Pourtant, cette approche indique la portée du sacrifice que certains de ces leaders pensent devoir accepter au niveau national en cas de conflit militaire. Alors qu’ils reconnaissent que le pouvoir américain est supérieur au leur, ils s’obstinent dans leur croyance à supporter de plus fortes pertes humaines et matérielles en leur sein.

La ligne dure à la tête de l’Iran, souligne que si elle s’engageait dans une bataille d’une importance vitale contre un ennemi étranger, elle n’aurait aucun scrupule à sacrifier un nombre important d’Iraniens, voire même l’infrastructure du pays. Au contraire dans les pays occidentaux, une augmentation importante du prix du pétrole ou la mort de quelques milliers de soldats serait vue comme une « catastrophe nationale », causant la perte du gouvernement en place. C’est sous cet éclairage que les menaces des officiels iraniens quant à la fermeture des Détroits d’Hormuz prennent un sens significatif. Fermer les détroits détruirait sans nul doute l’économie iranienne, et provoquerait une réponse de grande ampleur. Mais du point de vue des stratèges proches de l’administration d’Ahmadinejad, la seule chose importante si l’Iran doit subir une attaque militaire importante sera d’infliger à l’ennemi un maximum de dégâts, et les pertes subies n’auront alors que peu de poids dans la balance.

Selon les néo-conservateurs iraniens, l’empressement à ne reculer devant aucun sacrifice lors d’un conflit militaire représente la force de dissuasion la plus importante contre l’ennemi et ses prérogatives. Quelques fondamentalistes iraniens, dont le Président, ont aussi parlé de « miracles divins » qui sauveraient la République islamique en cas d’une bataille contre « les infidèles », ou du « Jour prochain du Jugement Dernier ». Comme il est difficile de déterminer si leur foi en de tels événements apocalyptiques est réelle ou non, il convient d’exclure ces faits de tout calcul.

4) Des préparations internes maximum.

Certains des arguments des officiels militaires et politiques iraniens quant à l’empressement domestique face aux menaces étrangères, mentionnent naturellement les préparatifs militaires. Les mesures dont ils parlent tournent essentiellement autour de deux concepts :

« la défense asymétrique » (c’est-à-dire une bataille entre deux partis inégaux militairement, où le plus faible utilise des méthodes nouvelles - attentat-suicide - pour infliger un maximum de dégâts au parti adverse) et « la défense passive » (une combinaison de méthodes comme le camouflage, les leurres, et la dispersion de centres stratégiques, sans armes à feu, visant à réduire les dégâts causés aux installations vitales à leur strict minimum.).

Un autre aspect de la stratégie de dissuasion de la République islamique liée aux questions intérieures est basé sur la destruction de la prétendue cinquième colonne ennemie. De nouveau, l’exemple de l’Iraq entre en jeu. Il est considéré comme central par les centres de recherche iraniens affiliés à l’appareil de sécurité militaire. Ils pensent que l’envahisseur étranger qui avait renversé le régime de Saddam Hussein en 2003 avait déjà vaincu l’armée iraquienne durant la Guerre du Golfe. Mais pour une raison simple, la guerre de 1992 n’a pas abouti à un changement de régime en Iraq, faute d’une alternative au régime de Saddam. C’est la raison pour laquelle les cercles de sécurité militaires à Téhéran croient qu’aucun envahisseur étranger ne serait en mesure de renverser le régime iranien malgré toute sa puissance militaire tant qu’une alternative au pouvoir intérieur n’aura été trouvée. Ainsi, en plus de l’empressement de la sécurité militaire à se confronter directement avec les Etats-Unis, d’autres mesures doivent être utilisées à l’intérieur du pays pour neutraliser les efforts destinés au changement de régime qui se résument à la suppression de toutes forces politiques et sociales pouvant être utilisées par des pouvoirs étrangers pour contrôler le gouvernement dans une situation "de post-République-islamique"- aussi lointaine soit-elle. C’est pour cela que l’on constate une pression gouvernementale croissante à supprimer toute alternative potentielle face aux menaces militaires émergeantes. Dans l’hypothèse d’une attaque militaire, de telles alternatives doivent être totalement et rapidement éliminées.

Le point important de la définition des quatre principes de la stratégie de dissuasion de la République islamique est qu’ils n’entreront en jeu que si les Etats-Unis entrent en guerre contre l’Iran. Ils pourraient être déclenchés si une attaque ponctuelle était engagée. Par exemple, comme le système de sécurité iranien ne pourra pas être certain qu’une attaque stratégique contre certaines de ses installations est en fait destinée à un changement de régime (comme cela s’est passé en ancienne Yougoslavie), cela pousserait une fois pour toute à se débarrasser de certains adversaires politiques et sociaux au sein du pays, même en cas de coup limité. De plus, une attaque - si limitée soit-elle - des installations sensibles de l’Iran mènera inévitablement à une réponse militaire de la part de la République islamique sur une certaine partie du monde. La ligne dure au pouvoir ne pourrait accepter l’humiliation d’une telle attaque, surtout après avoir adopté pendant si longtemps une position ferme et intransigeante vis-à-vis de ses ennemis étrangers. D’un autre côté, il est difficile d’imaginer que les forces américaines ne répondent pas aux contre-attaques de l’Iran ou de ses alliés si eux mêmes ou Israël subissaient une agression. Toute attaque, aussi limitée soit-elle, contre l’Iran conduirait donc à une escalade des opérations militaires menant à un conflit d’échelle internationale.

En conclusion, la doctrine de dissuasion de la République islamique fait que toute attaque militaire américaine sur l’Iran aurait un impact incontrôlable à long terme sur la sécurité de la région, même si cela infligerait de très lourdes pertes en Iran. Les conséquences d’une telle attaque seraient incomparables à toute autre opération militaire depuis la Seconde Guerre mondiale. On se doit d’être d’autant plus de vigilant lorsque l’on sait que certains Démocrates américains ont souligné que « toutes les options sont toujours ouvertes en ce qui concerne l’Iran ». C’est un terme connu et compréhensible en diplomatie. Mais même en l’exprimant, il ne faudrait pas oublier que la situation de l’Iran est si complexe que l’option militaire contre le pays ne contribuera jamais à la sécurité internationale.

*Member of editorial board of Iranian journal, Rooz Online : www.roozonline.com.