Davos 2024 : les experts posent le bon diagnostic sur l’état du monde mais pas les bonnes solutions

Du 15 au 19 janvier, à Davos, plus de 2 800 participants venant de 120 pays sont attendus, dont plus de 60 chefs d’États.

François Géré, Alexandre Delaigue et Pierre Bentata, « Davos 2024 : les experts posent le bon diagnostic sur l’état du monde mais pas les bonnes solutions », atlantico.fr, 15 janvier 2024.


Atlantico : Comme chaque année, le World Economic Forum réunit les chefs d’Etats et les grands patrons à Davos. Certains des experts ont d’ores et déjà présenté les travaux qui devraient y faire l’objet de discussions, notamment le Global Risks Report de 2024. Dans quelle mesure peut-on dire de nos élites qu’elles appréhendent correctement les dangers à venir ?

Pierre Bentata : Avant toute chose, il convient de noter que le Global Risks Report s’articule à présent autour de trois temporalités : les risques actuels, les risques à deux ans et les risques à dix ans. C’est la bonne méthode pour identifier les risques et définir des stratégies efficaces. Cela permet aussi de prendre conscience de l’évolution des risques. Ainsi, dans le dernier rapport, on peut constater que les répondants jugent que les problèmes économiques constituent les menaces les plus immédiates : coût de la vie, coût des énergies, inflation représentent, selon eux, les principaux défis pour l’année à venir.

A plus long terme, les défis considérés comme les plus importants sont la capacité à atténuer le changement climatique, à s’y adapter et à anticiper les catastrophes naturelles qui lui sont liées. On voit que dans l’esprit des répondants, les risques économiques sont immédiats mais maîtrisables, alors que les risques politiques et environnementaux sont plus lointains mais plus difficile à appréhender.
Cette présentation des risques me semble cohérente : elle identifie les dangers principaux et les échelonnent dans le temps, permettant ainsi de hiérarchiser les actions.

François Géré : Le rapport distingue bien cinq types de dangers dans les années à venir, que sont les menaces économiques, environnementales, géopolitiques, sociétales et technologiques. Pour réduire les risques le rapport propose quatre approches : des stratégies locales ; des ruptures innovantes dans la recherche et le développement ; des actions collectives et une coordination transfrontalière, qui demeurent le seul chemin viable pour assurer la sécurité et la prospérité.

En préalable je crois nécessaire de s’interroger sur l’identité du sujet de l’énonciation. Le rapport utilise le pronom "we" soit mais qui désigne ce nous ? Il masque de plus en plus mal le danger de l’illusion unanimiste. En effet, les différentes catégories de menaces suggèrent pour y faire face la mise en place d’une stratégie intégrale qui suppose l’existence d’une coordination. Pas de bipolarité, moins encore d’unilatéralisme unipolaire. Les principaux États ont pensé pouvoir établir une gestion coordonnée de la planète à travers un multilatéralisme consensuel matérialisé par les G8 et G20.

Hélas ce multilatéralisme a viré à la dissension compétitive (formation des BRICS) voire même à la rupture hostile par exclusion de la Russie du G8.

Outre le diagnostic posé par les experts du WEF, que dire des solutions envisagées ?

François Géré : Parmi les menaces le rapport désigne la mésinformation et la désinformation dont l’action s’intensifie. Elle favorise la « polarisation sociétale » (le rapport s’exprime dans une langue de bois technocratique moderniste parfois peu accessible), terme qui paraît renvoyer à un avatar de la lutte de classes, en faussant le fonctionnement de la démocratie, en créant l’incertitude sur la vérité et même la réalité.

Pierre Bentata : Si les maux sont bien identifiés, on peut légitimement s’interroger quant à la pertinence des diagnostics. Sur les questions de coût de la vie et d’inflation, le rapport accorde une grande place aux taux d’intérêt et à l’endettement, mais ne mentionne même pas la question de la réglementation du travail, des conséquences des nombreuses relocalisations ou du poids de la dette publique dans l’endettement. On voit bien que les experts interrogés ont tous un prisme étatique fort, qui leur fait totalement oublier le rôle du secteur privé et de la société civile (...)